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Carte blanche (40)

Laissée à Kobus van Cleef

La première partie est ici, la deuxième ici, la troisième ici, la quatrième ici, la cinquième ici, la sixième ici, la septième ici et la huitième ici.

Crépuscule des vampyrs et continent obscur

 

Neuvième partie

 

Blumroch s'impatiente, on va pas gaspiller notre temps à consulter les oracles dans des merdes de vampyr, on taille la route
Sitôt dit sitôt fait on glisse vers le bled européen, en vitesse, kobus encapuchonné pour éviter de se consumer au soleil, lunettes noires,mains enfoncées dans les poches, capuche de pull-over ( le même que Zelinski dis donc) rabattue sur les yeux, en passant par des sentes ombreuses, et puis l'aube point à peine
Fissa fissa
On arrive sans mal au bingalo où on avait été séquestré auparavant, on se met en quête d'un véhicule quelconque
Joie, bonheur, on tombe sur un quatquat luxueux climatisé d'une association subventionnée destinée à la sauvegarde des clitoris pré pubères, ou à la préservation des albinos autochtones
Vite vite on se met en quête des clés, Noël ! les voilà sur le pneu avant gauche, on met le contact, le moteur ronfle, réservoir plein, on s'encombre des flingues récupérés au dépend du grand cosaque Wagner, on pille le bingalo pour rassembler quelques impedimentas mais la cahute est vide, déception
On sort alors du bâtiment pour s'embarquer dans le mobile à quatre roues motrices ( et une de secours) lorsqu'on tombe sur une forte troupe de Wagner armés jusqu'aux dents
Fatalitas !

 

Les canons des armes se lèvent imperceptiblement de part et d'autre
L'issue du combat, si combat il doit y avoir, ne semble pas faire de doutes, à deux contre toute une sotnia ( n'oublions pas que ce sont des cosaques)
Un sotnik se détache du groupe, c'est l'aimable agrégé de lettres classiques avec lequel ils ont échangé pas plus tard que tout à l'heure, il lève la main, il va parler, il parle, on l'écoute
( Je le baptiserai bien mais le seul patronyme qui me vient à l'esprit est celui d'un descendant de Russe blanc-authentique, kobus ne ment jamais, enfin, très rarement, enfin, jamais si c'est pas indispensable- que j'ai connu dans ma jeunesse et qui enseignait le tudesque, nous ne le nommerons donc pas Christian de V....)
J'ai bien conscience que l'envie de déserter vous tenaille et que vous voulez mettre de la distance entre les hauts plateaux et vous
Mais où aller, vers où vous tourner ?
Remettez ce départ et planifiez le un peu mieux
La voix de la sagesse, non ?
C'est kobus qui rompt le charme
Dites donc les aminches, avec tout ça, en bon vampyr que je suis devenu, un seul rayon solaire et je me dissous ?
Attendons la nuit, mais je suis pas certain de désirer la compagnie des vampyrs et de mon beau père putatif, il m'a quand même collé deux mornifles d'anthologie

 

Ne craignez plus rien des goules karpatiques, la ventrée récente qu'ils ont fait du sang pourri des n'haigres les a achevé pour le coup
À moins qu'ils ne disposent d'une équipe de réanimateurs avec épuration extra rénale, échanges plasmatiques, ventilation assistée et contre pulsion aortique, je pense que vous n'en entendrez plus parler
Du moins avant longtemps

Soulagement de nos amis, qui n'en menaient pas large, on a beau avoir traversé les océans, affronté le souabe, les djieux antiques, des n'haigres de toutes obédiences, il arrive un moment où la statue interne se fissure ( comme dirait Élie de..)
et où l'excès de stress ne tue plus le stress mais l'amplifie

On abaisse le canon des armes, que l'on remet à la bretelle
Il faut maintenant décider d'un itinéraire puisque aussi bien la mission journalistique est accomplie ou bien a avorté
On a bien rencontré les vampyrs, on a bien recueilli leurs confidences, exploré leurs détresses ainsi que sais le faire tout bon baveux soucieux de faire pleurer dans les chaumières mais on n'a pas su quelle était leur implication dans les cagades régionales, dans les guerres ethniques afwicaines

 

Accomplie ? Avortée ?
On hésite entre les deux pôles
On pourra toujours recueillir des infos auprès des cosaques prêts à nous emboîter le pas, maintenant que les vampyrs sont entrés en semi hibernation, le temps d'éliminer les toxines du sang pourri des ouigres
Et pendant ce temps de latence, ils seront pas payés alors pourquoi ne point nous faire un brin de route, il y a plein d'autres combats à mener, avec l'assurance d'une solde conséquente
Il faut pourtant bien decider d'un itinéraire d'un point de dispersion
C'est Blumroch qui en discute avec Jean Eudes et le cosaque agreg'de lettres classiques

 

Un doigt hésite au dessus d'une carte, un front se plisse, puis une voix s'élève "passons....par là !"
On se penche on s'interroge, où ça ?
Là, Tanzanie, vallée de l'Omo, rien à voler, pas de routes carrossables, pas d'approvisionnement, pas de communications, personne n'ira nous chercher là
Et surtout pas les vampyrs
Mais pour en sortir, hein, pour en sortir ?
Car une fois rendus il faudra bien en sortir ?
Nous nous glisserons dans les groupes touristiques qui, s'ils n'abondent pas, ne sont pas si rares que ça !
Sitôt dit, sitôt élaboré, on se met en quête d'accompagnateurs, kobus est out, temporairement, enfoui sous des couvertures par crainte du soleil, on pourrait même l'entendre trembler de peur, les quelques cosaques rassemblés n'ont aucune objection, le calme des vieilles troupes
Jean Eudes n'est pas fondamentalement contre, accroître sa connaissance de l'afwique lui plaît toujours

 

On annonce à kobus qu'on va se mettre en route
Il refuse
Le soleil,bordel, le soleil !
On tente de trouver une solution, bien emballé dans du papier sulfurisé comme pour faire des papillotes de poichon ?
Surtout pas, un seul photon et je cuis à l'étouffée
On décide donc de l'enfermer dans un cercueil
Problème
Où trouver un cercueil ?
Ici, dans l'afwique des hauts plateaux et des gisements minéraux rares ?
Faut déterrer un mort, européen, eux seuls pouvaient prétendre à une telle opulence, et pas trop vieux sinon en plus du cadavre moisi, la boîte est en mauvais état et laisse filtrer des rayons solaires à travers

 

on se met en quête d'un cimetière avec un carré blanc majoritaire
difficile mais Léopoldville n'en est pas dépourvu, les cosaques arpentent les allées, en déchiffrant les dates de décès (pour les patronymes faut pas y compter, ils ne lisent que le cyrilique)
bingo, y en a un, là!
performance, parce que les belges ont fichu le camp depuis plusieurs décennies
que lit-on?
1995...
allez, pelle pioche, on excave une superbe bière recouverte en zinc
alors là mes amis c'est Bizance! Kob's pourra dormir d'un sommeil que rien ne viendra troubler
impossible de la forcer comme ça, toutefois, le fer d'une bêche, inséré judicieusement entre les charnières et la feuille de zinc dévoile une boîte faite d'un bois sobre et sombre, genre palissandre (mais c'est interdit d'user de pareil matériaux ! tant pis, licence poëtique, le directeur van de pute de l'exploitation minière a voulu ça pour son repos éternel)
ainsi exposée, le cercueil apparait quasi intact, même pas souillé au fond par les jus de décomposition du de cujus qui , de façon habituelle, traversent la boite
à moins que raymond van de pute, né en 1928 et mort en 95 n'ai été embaumé?
trouver un embaumeur ici?
on dévisse le couvercle, on s'attend à une explosion de gaz fétides, rien, on soulève
surprise, noël, c'est pas un machab' c'est des sacs de diam's!
de toute taille, non taillés evidemment
mais toulmonde les reconnaît de suite, lisses, noirs ou fauves....
et là, tout bascule
les cosaques dégainent, l'agrégé de lettres classiques aussi, braquage compulsif, tous contre tous, Jean Eudes et Blum reculent doucement, lorsque le talon de Blum se prend dans le manche d'une pioche, il tombe lourdement, brrrraaang, les canons crachent des bastos, à si courte distance, ça ne pardonne pas
interruption du feu
on entend un chlak, probablement un encore vivant qui enclenche un nouveau chargeur, puis plus rien

 

là, on peut dire que la mort a frappé...Blum, la tête entre les mains, risque un oeil...un deuxième
maverdave! Jean Eudes! mon fieu, réponds!
silence sépulcral
Blum se lève, prudent, un pruneau est si vite attrapé
Jean Eudes gît à quelques mètres

 

Il le pousse, le palpe
L'autre respire encore
Il vit, donc, tous les espoirs sont permis
Alors, que s'est il passé ?
C'est simple, le projectile fatal s'est enquillé dans la nervure du fer de la bêche, là où vient s'insérer le manche, encore heureux que ce fut un surplus européen, aux afwiques depuis plus d'un siècle, avec la camelote chinoise ce serait pas pareil, bref, ayant perdu de sa vélocité, la bastos a découpé en biais un tronc de cône dans le métal,a ripé sur le côté puis est allée se perdre dans un petit volume que Jean Eudes garde précieusement par devers lui dans sa poche de poitrine, maximes et sentences morales, de la roche faux cul, non la roche Foucault, bref, on ne dira jamais assez combien l'éducation klasik peut sauver une situation compromise
Jean Eudes ouvre à son tour les yeux, passablement sonné
Il se demande ce qu'il fout là par terre, on l'informe, il se lève péniblement
Tant qu'à être sauvé il eût voulu que ça se fasse au moyen de sa médaille de Lourdes mais on ne choisit pas son miracle
On se met en chasse d'un moyen de transport idoine à brancarder le cercueil de van de pute et ses diamants, auparavant on bascule les cosaques morts dans la fosse, dommage pour notre ami agrégé de lettres classiques, mais l'appât du gain fût le plus fort

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Lettre morte

De mes premières années, je ne me rappelle qu'un incident. Peut-être t'en souvient-il aussi. Une nuit, je ne cessai de pleurnicher en réclamant de l'eau, non pas assurément parce que j'avais soif, mais en partie pour vous irriter, en partie pour me distraire. De violentes menaces répétées plusieurs fois étant restées sans effet, tu me sortis du lit, me portas sur la pawlatsche (1) et m'y laissas un moment seul en chemise, debout devant la porte fermée.

Je ne prétends pas que ce fût une erreur. Peut-être t'était-il impossible alors d'assurer le repos de tes nuits par un autre moyen; je veux simplement, en le rappelant, caractériser tes méthodes d'éducation et leur effet sur moi. Il est probable que cela a suffi à me rendre obéissant par la suite, mais intérieurement, cela m'a causé un préjudice. Conformément à ma nature, je n'ai jamais pu établir de relation exacte entre le fait, tout naturel pour moi, de demander de l'eau sans raison et celui, particulièrement terrible, d'être porté dehors. Bien des années après, je souffrais encore à la pensée douloureuse que cet homme gigantesque, mon père, l'ultime instance, pouvait presque sans motif me sortir du lit la nuit pour me porter sur la pawlatsche, prouvant par là à quel point j'étais nul à ses yeux.

A cette époque, ce n'était qu'un modeste début, mais ce sentiment de nullité qui s'empare si souvent de moi (sentiment qui peut être aussi noble et fécond sous d'autres rapports, il est vrai) tient pour beaucoup à ton influence. Il m'aurait fallu un peu d'encouragement, un peu de gentillesse, j'aurais eu besoin qu'on dégageât un peu mon chemin, au lieu de quoi tu me le bouches, dans l'intention louable, certes, de m'en faire prendre un autre. Mais à cet égard, je n'étais bon à rien.

Tu m'encourageais, par exemple, quand je marchais au pas et saluais bien, mais je n'étais pas un futur soldat; ou bien tu m'encourageais quand je parvenais à manger copieusement ou même à boire de la bière, quand je répétais des chansons que je ne comprenais pas ou rabâchais tes phrases favorites, mais rien de tout cela n'appartenait à mon avenir. Et il est significatif qu'aujourd'hui encore, tu ne m'encourages que dans les choses qui te touchent personnellement, quand ton sentiment de ta valeur est en cause, soit que je le blesse (par exemple, par mon projet de mariage), soit qu'il se trouve blessé à travers moi (par exemple quand Pepa m'insulte). C'est alors que tu m'encourages, que tu me rappelles ma valeur et les partis auxquels je serais en droit de prétendre, que tu condamnes entièrement Pepa. Mais sans parler du fait que mon âge actuel me rend déjà presque inaccessible à l'encouragement, à quoi pourrait-il me servir s'il n'apparaît que là où il ne s'agit pas de moi en premier lieu.

Autrefois, j'aurais eu besoin d'encouragement en toutes circonstances. Car j'étais déjà écrasé par la simple existence de ton corps. Il me souvient, par exemple, que nous nous déshabillions souvent ensemble dans une cabine. Moi, maigre, chétif, étroit; toi, fort, grand, large. Déjà dans la cabine je me trouvais lamentable, et non seulement en face de toi, mais en face du monde entier, car tu étais pour moi la mesure de toutes choses. Mais quand nous sortions de la cabine et nous trouvions devant les gens, moi te tenant la main, petite carcasse pieds nus vacillant sur les planches, ayant peur de l'eau, incapable de répéter les mouvements de natation que, dans une bonne intention, certes, mais à ma grande honte, tu ne cessais littéralement pas de me montrer, j'étais très désespéré et, à de tels moments, mes tristes expériences dans tous les domaines s'accordaient de façon grandiose.

Là où j'étais encore le plus à l'aise, c'est quand il t'arrivait de te déshabiller le premier et que je pouvais rester seul dans la cabine pour retarder la honte de mon apparition publique, jusqu'au moment où tu venais voir ce que je devenais et où tu me poussais dehors. Je t'étais reconnaissant de ce que tu ne semblais pas remarquer ma détresse, et, d'autre part, j'étais fier du corps de mon père. Il subsiste d'ailleurs aujourd'hui encore une différence de ce genre entre nous.

A cela répondit par la suite ta souveraineté spirituelle. Grâce à ton énergie, tu étais parvenu tout seul à une si haute position que tu avais une confiance sans bornes dans ta propre opinion. Ce n'était pas même aussi évident dans mon enfance que cela le fut plus tard pour l'adolescent. De ton fauteuil, tu gouvernais le monde. Ton opinion était juste, toute autre était folle, extravagante, meschugge (2), anormale. Et avec cela, ta confiance en toi-même était si grande que tu n'avais pas besoin de rester conséquent pour continuer à avoir raison. Il pouvait aussi arriver que tu n'eusses pas d'opinion du tout, et il s'ensuivait nécessairement que toutes les opinions possibles en l'occurrence étaient fausses, sans exception.

Tu étais capable, par exemple, de pester contre les Tchèques, puis contre les Allemands, puis contre les Juifs, et cela non seulement à propos de points de détail, mais à propos de tout, et pour finir, il ne restait plus rien en dehors de toi. Tu pris à mes yeux ce caractère énigmatique qu'ont les tyrans dont le droit ne se fonde pas sur la réflexion, mais sur leur propre personne. C'est du moins ce qu'il me semblait.

Au vrai, tu avais si souvent raison contre moi que c'en était surprenant; rien de plus naturel quand cela se passait en paroles, car nous allions rarement jusqu'à la conversation, mais tu avais raison même dans les faits. Cependant, il n'y avait, là non plus, rien de spécialement incompréhensible: j'étais lourdement comprimé par toi en tout ce qui concernait ma pensée, même et surtout là où elle ne s'accordait pas avec la tienne. Ton jugement négatif pesait dès le début sur toutes mes idées indépendantes de toi en apparence; il était presque impossible de supporter cela jusqu'à l'accomplissement total et durable de l'idée. Ici, je ne parle pas de je ne sais quelles idées supérieures, mais de n'importe quelle petite affaire d'enfant. Il suffisait simplement d'être heureux à propos d'une chose quelconque, d'en être empli, de rentrer à la maison et de le dire, et l'on recevait en guise de réponse un sourire ironique, un hochement de tête, un tapotement de doigts sur la table: «J'ai déjà vu mieux», ou bien: «Viens me dire ça à moi», ou bien: «Je n'ai pas la tête aussi reposée que toi», ou bien: «Ça te fait une belle jambe!», ou bien encore: «En voilà un événement!»

Il va sans dire qu'on ne pouvait pas te demander de l'enthousiasme pour chacune de nos bagatelles d'enfants, alors que tu étais plongé dans les soucis et les peines. D'ailleurs, il ne s'agissait pas de cela. L'important, c'est plutôt qu'en vertu de ta nature opposée à la mienne, et par principe, tu étais toujours poussé à préparer des déceptions de ce genre à l'enfant, que l'opposition s'aggravait constamment grâce à l'accumulation du matériel, qu'elle se manifestait par habitude, même quand tu étais par hasard de mon avis et que, puisque aussi bien il s'agissait de ta personne et que ta personne faisait autorité en tout, les déceptions de l'enfant n'étaient pas des déceptions de la vie courante, mais touchaient droit au cœur. Le courage, l'esprit de décision, l'assurance, la joie de faire telle ou telle chose ne pouvaient pas tenir jusqu'au bout quand tu t'y opposais ou même quand on pouvait te supposer hostile; et cette supposition, on pouvait la faire à propos de presque tout ce que j'entreprenais.

Cela s'appliquait aussi bien aux idées qu'aux personnes. Il te suffisait que quelqu'un m'inspirât un peu d'intérêt - étant donné ma nature, cela ne se produisait pas souvent - pour intervenir brutalement par l'injure, la calomnie, les propos avilissants, sans le moindre égard pour mon affection et sans respect pour mon jugement. Des êtres innocents et enfantins durent en pâtir. Ce fut le cas de l'acteur yiddish Löwy, par exemple. Sans le connaître, tu le comparais à de la vermine, en t'exprimant d'une façon terrible que j'ai maintenant oubliée, et tu avais automatiquement recours au proverbe des puces et des chiens, comme tu le faisais si souvent au sujet des gens que j'aimais. Je me rappelle particulièrement bien l'acteur, parce qu'à cette époque j'ai écrit ce qui suit sur ta manière de parler de lui:

«C'est ainsi que mon père parle de mon ami (qu'il ne connaît pas du tout), uniquement parce qu'il est mon ami. C'est quelque chose que je pourrai toujours lui opposer quand il me reprochera mon manque de gratitude et d'amour filial.»

Je n'ai jamais pu comprendre que tu fusses aussi totalement insensible à la souffrance et à la honte que tu pouvais m'infliger par tes propos et tes jugements. Moi aussi, je t'ai sûrement blessé plus d'une fois en paroles, mais je savais toujours que je te blessais, cela me faisait mal, je ne pouvais pas me maîtriser assez pour retenir le mot, j'étais encore en train de le prononcer que je le regrettais déjà. Tandis que toi, tu attaquais sans te soucier de rien, personne ne te faisait pitié, ni sur le moment ni après, on était absolument sans défense devant toi.

Cependant, tu procédais de la sorte dans toute ta manière d'élever un enfant. Je crois que tu as un certain talent d'éducateur; ton éducation aurait certainement pu être utile à un être fait de la même pâte que toi; il aurait aperçu le bon sens de ce que tu disais, n'aurait point eu d'autres soucis et aurait tranquillement accompli les choses de cette façon; mais pour l'enfant que j'étais, tout ce que tu me criais était positivement un commandement du ciel, je ne l'oubliais jamais, cela restait pour moi le moyen le plus important dont je disposais pour juger le monde, avant tout pour te juger toi-même, et sur ce point tu faisais complètement faillite.

Etant enfant, je te voyais surtout aux repas et la plus grande partie de ton enseignement consistait à m'instruire dans la manière de se conduire convenablement à table. Il fallait manger de tout ce qui était servi, s'abstenir de parler de la qualité des plats - mais il t'arrivait souvent de trouver le repas immangeable, tu traitais les mets de «boustifaille», ils avaient été gâtés par cette «idiote» (la cuisinière).

Comme tu avais un puissant appétit et une propension particulière à manger tout très chaud, rapidement et à grandes bouchées, il fallait que l'enfant se dépêchât; il régnait à table un silence lugubre entrecoupé de remontrances: «Mange d'abord, tu parleras après», ou bien: «Plus vite, plus vite, plus vite», ou bien: «Tu vois, j'ai fini depuis longtemps.» On n'avait pas le droit de ronger les os, toi, tu l'avais. On n'avait pas le droit de laper le vinaigre, toi, tu l'avais. L'essentiel était de couper le pain droit, mais il était indifférent que tu le fisses avec un couteau dégouttant de sauce. Il fallait veiller à ce qu'aucune miette ne tombât à terre, c'était finalement sous ta place qu'il y en avait le plus. A table, on ne devait s'occuper que de manger, mais toi, tu te curais les ongles, tu te les coupais, tu taillais des crayons, tu te nettoyais les oreilles avec un cure-dent.

Je t'en prie, père, comprends-moi bien, toutes ces choses étaient des détails sans importance, elles ne devenaient accablantes pour moi que dans la mesure où toi, qui faisais si prodigieusement autorité à mes yeux, tu ne respectais pas les ordres que tu m'imposais. Il s'ensuivit que le monde se trouva partagé en trois parties: l'une, celle où je vivais en esclave, soumis à des lois qui n'avaient été inventées que pour moi et auxquelles par-dessus le marché je ne pouvais jamais satisfaire entièrement, sans savoir pourquoi; une autre, qui m'était infiniment lointaine, dans laquelle tu vivais, occupé à gouverner, à donner des ordres, et à t'irriter parce qu'ils n'étaient pas suivis; une troisième, enfin, où le reste des gens vivait heureux, exempt d'ordres et d'obéissance.

J'étais constamment plongé dans la honte, car, ou bien j'obéissais à tes ordres et c'était honteux puisqu'ils n'étaient valables que pour moi; ou bien je te défiais et c'était encore honteux, car comment pouvais-je me permettre de te défier! ... ou bien je ne pouvais pas obéir parce que je ne possédais ni ta force, ni ton appétit, ni ton adresse - et c'était là en vérité la pire des hontes. C'est ainsi que se mouvaient, non pas les réflexions, mais les sentiments de l'enfant.

L'impossibilité d'avoir des relations pacifiques avec toi eut encore une autre conséquence, bien naturelle en vérité: je perdis l'usage de la parole. Sans doute n'aurais-je jamais été un grand orateur, même dans d'autres circonstances, mais j'aurais tout de même parlé couramment le langage humain ordinaire. Très tôt, cependant, tu m'as interdit de prendre la parole: «Pas de réplique!», cette menace et la main levée qui la soulignait m'ont de tout temps accompagné.

Devant toi - dès qu'il s'agissait de tes propres affaires, tu étais un excellent orateur - je pris une manière de parler saccadée et bégayante, mais ce fut encore trop pour ton goût et je finis par me taire, d'abord par défi peut-être, puis parce que je ne pouvais plus ni penser ni parler en ta présence. Et comme tu étais mon véritable éducateur, les effets s'en sont fait sentir partout dans ma vie.

D'une manière générale, tu commets une singulière erreur en croyant que je ne me suis jamais soumis à ta volonté. Je puis dire que le principe de ma conduite à ton égard n'a pas été «toujours contre tout», ainsi que tu le crois et me le reproches. Au contraire: si je t'avais moins bien obéi, tu serais sûrement beaucoup plus satisfait de moi. Contrairement à ce que tu penses, ton système pédagogique a touché juste; je n'ai échappé à aucune prise; tel que je suis, je suis (abstraction faite, bien entendu, des données fondamentales de la vie et de son influence) le résultat de ton éducation et de mon obéissance.

Si ce résultat t'est néanmoins pénible, si même tu te refuses inconsciemment à le reconnaître pour le produit de ton éducation, cela tient précisément à ce que ta main et mon matériel ont été si étrangers l'un à l'autre. Tu disais: «Pas de réplique!» voulant amener par là à se taire en moi les forces qui t'étaient désagréables, mais l'effet produit était trop fort, j'étais trop obéissant, je devins tout à fait muet, je baissai pavillon devant toi et n'osai plus bouger que quand j'étais assez loin pour que ton pouvoir ne pût plus m'atteindre, au moins directement. Mais tu restais là et tout te semblait une fois de plus être «contre», alors qu'il s'agissait simplement d'une conséquence naturelle de ta force et de ma faiblesse.

Tes moyens les plus efficaces d'éducation orale, ceux du moins qui ne manquaient jamais leur effet sur moi, étaient les injures, les menaces, l'ironie, un rire méchant et - chose remarquable - tes lamentations sur toi-même.

Franz Kafka

Lettre au père

(1) Le balcon qui fait le tour de la cour intérieure dans les maisons d'Europe centrale.

(2) Terme yiddish, d'ailleurs presque passé en allemand: «fou, insensé».

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Carte blanche (47)

Laissée à Kobus van Cleef

 

Crépuscule des vampyrs et continent obscur

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie

Quatrième partie

Cinquième partie

Sixième partie

Septième partie

Huitième partie

Neuvième partie

Dixième partie

Onzième partie

Douzième partie

Treizième partie

Quatorzième partie

Quinzième partie

 

Seizième partie

 

de toutes façons, le réservoir est vide, le rafiot n'avance plus, et, sur le radar de bord, on voit apparaître de méchants artéfacts qui signent une illumination interrogative (si on peut dire)
c'est que les émiratis, alertés par l'attaque du pitroulier libérien, se posent des questions, sont ce les perses? les raëliens? (pas tombés de la dernière pluie, ils savent reconnaître leurs amis) les voisins saoudiens?
on abandonne donc la vedette à quelques distances de la côte en bloquant la barre vers le large, avec les courants, ça fera l'affaire, et on embarque sur le dinghy de secours, sans radio, mais avec de l'eau, on fait force de rame vers une plage calcaire pas enchanteresse du tout, grisâtre sur fond beige, pas un arbre ni un brin d'herbe, on atterrit en souplesse, le pneumatique est dégonflé, lacéré de coups de couteau et les débris sont cachés sous des rochers, on se met alors en marche vers le nord en suivant la côte
on ignore si on est en saouderie ou en émiraterie, on marche, simplement, en gardant la mer à tribord et le nord droit devant

 

piquer au nord, certes, mais en suivant la côte ou en s'enfonçant dans les terres?
on serait assez visibles en suivant le rivage, d'autant que le trajet paraît hasardeux, sinueux
on délibère en vitesse, on décide donc de piquer vers les terres, pas tout de suite, plutôt à la nuit tombée
sitôt dit , sitôt fait, on s'abrite en ayant soin de se cacher du soleil, ce qui prend du temps, on est sur un littoral désolé, succession de cailloux pas plus gros que des pamplemousses et de talwegs mollassons
on trouve donc un refuge, on l'occupe
entre chien et loup, on se sort de notre torpeur et hardi petit, en route

 

Dans cette équipée, les plus prudents ne sont pas nos amis européens,ni leurs superbes compagnes, ce sont bien évidemment, Cyrus, Darius, le mousse et Simbad le crétin ( plus le chat), ces cinq là ( en comptant le chat, donc), tout assurés de leur nationalité persane, savent ce qu'ils risquent s'ils sont pris, au mieux la taule saoudienne jusqu'à la fin des temps, au pire l'exécution et, au pire du pire, le rapatriement en terres et geôles iraniennes où l'atmosphère est malsaine pour les traîtres supposés ( la faune pénale locale fait régner une justice qui n'a rien à envier à celle des institutions, c'est même plutôt pire, si une telle chose est possible)
C'est pourquoi cette première étape se fait quasiment sur la pointe des pieds, en se jetant à terre au moindre bruit
Au matin, bilan des courses, on a parcouru 5 km
À ce compte là et si on ne subit aucun avatar, il nous faudrait un an pour sortir de la péninsule arabique
C'est pas qu'on soit à la bourre, c'est simplement que les finances ne suivront pas, les pincées de diamants bruts ont bien fait baisser le niveau du pactole trouvé dans le cercueil du gros van de putte, pactole que le repris de justice belge, égaré dans l'afwique pwofonde, avait tenté de nous dérober
Se pose aussi la question de la loyauté de nos divers accompagnants
Comment réagiront nos compagnes lorsque le pactole aura totalement fondu ?
Se soumettront -elles à une existence misérable, dans les sables du désert, alors qu'à quelques centaines de kilomètres, une société d'une oppulence jamais connue auparavant les narguera de toutes ses facettes clinquantes ?
Ne seront elles pas tentées, à ce moment là de déserter, d'abandonner une équipée vouée à l'échec ?
Et le chat ?

 

Ne serait il pas tenté, lui aussi, d'aller mendier sa pitance lorsque le niveau des croquettes sera trop bas ?
Blumroch, kobus et Jean Eudes,mine de rien, tiennent conseil entre eux

 

Et puis, excuse moi, Blum, avec ton acroglaukotrichie, tu te fais remarquer, hein ( là c'est kobus qui cause)
De quoi, de quoi, toi c'est le rayon de lune qui te transforme en satyre, tu niquerais même les chameaux des bédouins !( Pas content le Blumroch)
Du calme mes amis du calme, j'entrevois une ébauche, une amorce de solution, les bédouins, voilà notre planche de salut, nous allons devenir des bédouins !( Là c'est Jean Eudes, éclairé par une illumination,tel Archimède ou Newton)
Encore faut-il trouver des bédouins, encore faut-il les convaincre de nous adopter, encore faut-il que nous puissions suivre leur rythme
Mais on dit que nécessité fait loi, on saura bien s'accomoder du pas lent et nauséegene du camélidé
Non ce qui nous préoccupe c'est dans l'ordre, l'absence des bédouins, vu qu'en 24 heures on n'a pas croisé âme qui vive, et surtout l'odeur des camélidés en question

 

Tiens oui, c'est un risque, l'odeur des camélidés...
Ainsi que le bruit, car lorsque ça blatère, bonjour les noreilles !
On en est là de notre conciliabule lorsque Emesse, la toute belle évanescente ( mais les pieds sur terre, brune, peau blanche, cheveux soyeux, zyeux bleus, je l'ai faite à la ressemblance de madame van Cleef) vient nous trouver pour nous annoncer une première défection
C'est Simbad le crétin qui a malencontreusement posé le pied sur un scorpion, ce con là, et qui en est mort en moins d'une minute, dans d'horribles convulsions avec des flux de ventre
Pour le dire en des mots plus compréhensibles, le malheureux s'est chié dessus dans les affres de l'agonie
Merdalors !
Sans jeux de mots
On rend les derniers devoirs au marin malchanceux, capitaine d'un bateau lavoir qui a rejoint les abysses en compagnie de sa cargaison de n'haigres innocents ( mais peut il exister une innocence en ce monde après....-et là, vous avez le droit d'inscrire l'événement que vous souhaitez voir sanctifié, surtout si vous entendez tirer profit de l'exploitation de sa mémoire ?)
Deux trois clapas sur une fosse creusée hâtivement, la tête dans la direction supposée des lieux saints, couché sur le flanc gauche et roule, ça sera bien assez bon

 

on récupère les diam's dans un petit gousset, au bout d'un cordon, avec la main de Fatima (ça existe chez les ébadites? probablement) le tout plaqué sur la poitrine soigneusement épilée du de cujus
encore tiède, je précise, ce qui nous donne la très désagréable impression de pillage de catafaro
bon, il s'agit de se mettre à l'abri pour les heures à venir
puis reprendre notre périple en se guidant sur les étoiles (nous avons trois marins avec nous, peut être qu'ils feront mieux que Simbad)
pendant ce temps, l'armateur maltais du pitroulier coulé pas loin de la côte a envoyé une protestation véhémente à l'amirauté iranienne
laquelle déclare son incompréhension et l'absence d'implication de ses troupes dans cet accident
mais on ne prête qu'aux riches
par contre, les pentaguys ont diligenté une enquète
d'autant plus que l'admiral commandant la 6ème flotte est indisponible et pour longtemps
rupture des corps caverneux, voyez?
ça risque de l'immoboliser pour longtemps, si ce n'est de façon définitive

 

Immobiliser, plutôt qu'immoboliser
C'est le hic avec les tilifones intelligents, la petite taille du clavier
Après cette salve d'interrogation diplo et de protestation à l'ONU ( le machin de triste renommée, selon le mot d'un triste sire lui aussi), la suite logique, c'est la montée au conflit, vous en êtes d'accord avec moi
Ça mobilise donc dans les petromonarchies ( monarchies de pierre, ça sonne mal ou bien, c'est selon, oléopetromonarchies serait plus idoine) c'est à dire que d'une part les tribus locales sont à nouveau autorisées à se balader enfouraillées , armes légères exclusivement ( imagine un poutch organisé avec des kalaches et des G3, la honte, et pire, si ça réussissait.... ça donne un aspect un peu sépia, genre Tintin au pays de l'or noir) et d'autre part, les conseillers estrangers mettent en œuvre le gros matos, blindés, artillerie, vedettes, pour l'arme aérienne, ça reste le privilège des locaux de bonne famille, prestige de l'uniforme oblige
Les avionneurs occidentaux sont quand même dans leurs petits souliers, si ces cons là allaient nous planter un rafale dans la Kaaba, ça nous ferait pas de la réclame ( ou de la pub, comme on dit aujourd'hui)
Sans compter qu'il faudrait remplacer le biclou, et avec le covide, on est déjà à flux tendu dans les ateliers de montage
Pour le Camp des persans, pas de problème, on est prêt, toujours,toultemps !
D'ailleurs, pour un persan, une persane, ne pas être prêt, c'est quasi un crime, comme tel passible de la corde

 

Cette moblardisation entraîne des allées et venues dans le désert des déserts ( merci à W Thesiger pour l'expression), en plus des quatquat et des dromadaires des bédouins, on voit des humwees des supplétifs du royaume
Justement, l'un d'entre eux s'arrête à deux pas du refuge de la petite troupe, provoquant la panique des pasdars, de leur matelot, et,a contrario, l'impassibilité marquée de nos aminches et de leurs compagnes de voyage
De toutes façons,ces dernières s'en moquent, elles auront toujours de palpables arguments féminins à opposer aux importuns
Et quels arguments !
On pourrait se relever la nuit pour en reprendre
Mais là n'est pas la question
Au lieu d'une troupe menaçante, armée jusqu'aux dents et l'invective à la bouche, c'est un prince du désert, petite barbiche stylÃ

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