25/04/2020
Historiettes, contes et vaticinations (12)
Une petite histoire déjà mise en ligne sur ce blog le 17/01/2007 :
Quelque chose dans l’air
À défaut d’être heureux, ils n’étaient pas malheureux. Qui en aurait douté ne serait-ce qu’un seul instant ?
La paix régnait depuis très longtemps et pour longtemps encore. Les quelques semblants de conflits armés qui perduraient, étaient non seulement endigués, mais en voie de résolution. De toute façon, hormis la population locale, personne ne s’en souciait vraiment et les bulletins d’information sur le sujet ne prenaient que quelques lignes dans les quotidiens.
L’économie et la santé allaient bien, si la non aisance existait encore de façon résiduelle, elle régressait chaque année. Inversement, la longévité humaine progressait de façon continue, le Ministre de la Santé n’avait-il pas triomphalement annoncé que l’espérance de vie avait encore augmenté de 3 mois l’année passée contre 2 l’année antérieure ?
L’art s‘épanouissait sous toutes ses formes, grâce aux subventions les artistes pouvaient développer leurs talents sans être distraits par les contingences matérielles. Sans cela comment imaginer par exemple que les poètes puissent avoir eu l’idée d’inventer la Cantate trisyllabique qui faisait actuellement fureur dans les salles de la Capitale. Certes, le commun n’appréciait pas encore cette forme de chant à sa juste valeur mais ce n’était qu’une question de temps. Car bien que l’école et les médias aient grandement amélioré son niveau culturel, il préférait pour l’instant encore les concours de Hurleurs Urbains. Ceux-ci bien sûr n’étaient pas non plus dénués de talent sur le plan créatif.
L’architecture n’était pas en reste et dans la banlieue nord de la Capitale la Tour de Paix s’élevait lentement mais sûrement vers le firmament. Symbole destiné à rappeler les réussites obtenus dans la quête du bonheur pour tous, elle était devenue une destination touristique fort courue et le tramway magnétique y déversait chaque jour son contingent de curieux. Quand elle serait terminée elle serait le plus haut monument de la planète.
Mais c’est peut-être dans le mode de gestion de l’état que la période avait atteint sa perfection. La démocratie ayant montré ses limites, la population ne comprenant pas toujours ce qui était bon pour elle, les organes dirigeants étaient maintenant doublés d’associations, de conseils et de groupes qui non seulement veillaient à la bonne gestion de l’Espace Territorial mais évitait aussi que les élus ne prennent une trop grande autonomie, ce qui serait immanquablement dommageable pour le peuple. Par exemple, le Conseil du Compromis composé de 21 sages renouvelables par tiers et par cooptation tous les 2 ans était chargé de donner un avis sur le bien fondé des nouvelles lois, de façon à ne léser aucune minorité. Ou le Conseil de la Mémoire Intacte désigné à vie par un collège d’historiens, qui avait pour mission de superviser le contenu de toute parution afin d’épargner au public les théories non conformes et malsaines de certains auteurs. Car malgré toute la bonne volonté des dirigeants il y aura toujours des esprits pervers prêts à profiter d’un relâchement. L’Espace Territoriale était ainsi pris dans un subtil réseau de compétences qui se compénétraient et évitait tout abus de quiconque ainsi que la pérennité du système.
Pourtant, il existait des individus qui n’étaient pas satisfaits des bienfaits des temps présents, des idéologues chagrins qui voyaient des signes de décadence et des symptômes annonçant des bouleversements partout, des réactionnaires nostalgiques qui en appelaient à un sursaut du peuple. Mais un sursaut pourquoi ? Ce n’étaient que les délires de personnes aigris à la vue du succès de théories contraires aux leurs, les imprécations d’insatisfaits pathologiques qui demandaient des libertés là où elles n’avaient aucunes raisons rationnelles d’exister, les perfidies d’alarmistes qui voyaient le mal arrivait au pas de course. Les instances du Pouvoir, magnanimes, n’entamaient des poursuites contre eux seulement quand ils dépassaient certaines limites.
Les événements débutèrent en avril. Les printemps sont souvent cruels. Les Autres arrivèrent sans que quiconque ne s’en aperçut. En fait, ils avaient toujours étaient là. Comme personne ne savait les reconnaître, les Forces de l’Ordre ne surent pas où et contre qui intervenir. Le Pouvoir empêtré dans les subtilités de son fonctionnement fut incapable de réagir à temps, et même de réagir tout simplement. Et tout s’écroula. Dans un premier temps, les citoyens ne purent ni ne voulurent y croire. Puis, quand ils finirent par se rendre à l’évidence ils se lamentèrent en se demandant ce qu’ils avaient bien pu faire pour en arriver là, comment cela avait-il été possible, pourquoi la puissance et la richesse de l’état n’avait été d’aucune utilité, pour quelle raison les institutions qui semblaient penser à tout n’avait pas vu arriver la catastrophe. Certains, hébétés, répétaient inlassablement que les choses ne pouvaient pas s’arrêter ainsi puisque tant de projets restaient à réaliser. Et tous furent balayés, les riches, ceux qui l’étaient moins, les jeunes, les moins jeunes, les puissants, les gens ordinaires, les poètes Trisyllabiques, les Hurleurs Urbains, la Présidence, le Gouvernement, le Conseil du Compromis, celui de la Mémoire Intacte, les villes, les monuments, les infrastructures, la Tour de la Paix... Balayés.
09:27 | Lien permanent | Commentaires (0)
24/04/2020
Musique (533)
Portishead
Glory Box
Shivaree
Goodnight Moon
Hooverphonic
Mad About You
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Historiettes, contes et vaticinations (11)
Une petite histoire déjà mise en ligne sur ce blog le 01/01/2007 :
Demain
Monsieur et Madame Simon achevaient leur repas en silence devant la télévision. Le journal avait répandu son flot d’informations : la désertification de la forêt équatoriale africaine atteignait des proportions catastrophiques ; on avait obtenu un chien de six centimètres de haut par modification génétique ; un train avait déraillé au Bangladesh faisant au moins 200 morts ; Cynthia Mondino, la gagnante de la dernière Star Academy, allait épouser le député Norbert Brissac ; des attentats non revendiqués à Rome ont fait 9 morts et une trentaine de blessés ; une grève subite avait commencé à la SNCF pour exiger plus de moyens ; le dernier roman d’Amélie Nothomb "Pugnacité du limaçon" venait de sortir ; après le décès d’un homme de 95 ans noyé accidentellement dans sa baignoire, le gouvernement allait rendre obligatoire les surfaces de sanitaire antidérapantes et les boutons d’appels d’urgence dans les salles de bains... Le générique de fin commença à défiler sur l’écran.
- Ils ne parlent plus des Fauvettes, constata Madame Simon un peu vexée.
- Cela fait quatre jours que ça dure, qui tu veux que ça intéresse encore ? grommela Monsieur Simon en se levant.
Il plia délicatement sa serviette, la posa sur la nappe et se dirigea vers le balcon. Sur sa droite, à quelques pâtés de maisons, les barres et les tours de la cité des Fauvettes dépassaient des toits. Quelques colonnes de fumée s’en élevaient. Quatre jours d’émeute, de sirènes, de survol en hélicoptère n’avait pas ébranlé le moral des Simon, leur clôture anti-intrusion était la meilleure du marché et de toute façon ils n’allaient jamais aux Fauvettes. Un bruit de cavalcade dans la rue lui fit tourner la tête, deux policiers en tenue anti-émeutes poursuivaient un jeune. En relevant les yeux, il s’aperçut que le soleil couchant teintait la ville de mordoré et de pourpre. Il inspira profondément l’air du soir et se dit qu’il avait vraiment bien fait d’acheter ce pavillon avant la flambée de l’immobilier.
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23/04/2020
Que ferions-nous sans eux ?
Grâce à Fahim, Oyun et Malek le monde est plus beau et l'Occidental heureux.
Fahim de Pierre-François Martin-Laval
"Forcé de fuir son Bangladesh natal, le jeune Fahim et son père quittent le reste de la famille pour Paris. Dès leur arrivée, ils entament un véritable parcours du combattant pour obtenir l’asile politique, avec la menace d’être expulsés à tout moment. Grâce à son don pour les échecs, Fahim rencontre Sylvain, l’un des meilleurs entraîneurs d’échecs de France. Entre méfiance et attirance, ils vont apprendre à se connaître et se lier d’amitié. Alors que le Championnat de France commence, la menace d’expulsion se fait pressante et Fahim n’a plus qu’une seule chance pour s’en sortir : être Champion de France."
Un monde plus grand de Fabienne Berthaud
"Partie en Mongolie chez des éleveurs de rennes pour enregistrer des chants traditionnels, Corine pensait pouvoir surmonter la mort de Paul, son grand amour. Mais sa rencontre avec la chamane Oyun bouleverse son voyage, elle lui annonce qu’elle a reçu un don rare et doit être formée aux traditions chamaniques. De retour en France, elle ne peut refuser ce qui s’impose désormais à elle : elle doit repartir pour commencer son initiation… et découvrir un monde plus grand."
Docteur ? de Tristan Séguéla
"C'est le soir de Noël. Les parisiens les plus chanceux se préparent à déballer leurs cadeaux en famille. D'autres regardent la télévision seuls chez eux. D'autres encore, comme Serge, travaillent. Serge est le seul SOS-Médecin de garde ce soir-là. Ses collègues se sont tous défilés. De toute façon il n'a plus son mot à dire car il a pris trop de libertés avec l'exercice de la médecine, et la radiation lui pend au nez. Les visites s'enchaînent et Serge essaye de suivre le rythme, de mauvaise grâce, quand tombe l'adresse de sa prochaine consultation. C'est celle de Rose, une relation de famille, qui l'appelle à l'aide. Il arrive sur les lieux en même temps qu'un livreur Uber Eats, Malek, lui aussi de service ce soir-là..."
Les trois synopsis viennent du site Allociné.
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Historiettes, contes et vaticinations (10)
Une petite histoire déjà mise en ligne sur ce blog le 29/01/2007 :
L'an zéro
Ils avaient maintenant tous pris place sur les gradins de la tribune, la cérémonie n’allait pas tarder à débuter. On pouvait dénombrer 1 856 chefs de nations autonomes ou leurs représentants, la planète entière était pour ainsi dire présente pour cet événement sans précédent dans l’Histoire. Le monde était enfin uni, après des millénaires de guerres et de divisions, les responsables et leurs peuples avaient enfin compris où étaient leurs intérêts. Plus d’armées nombreuses à entretenir, une simple force chargée d’intervenir au cas échéant demeurait sous tutelle du gouvernement mondiale, plus d’arsenal coûteux à concevoir et à acheter, cette argent pouvait être utilisé pour aider au développement des zones les plus pauvres, plus de conflits indépendantistes, toutes les nations grandes ou petites étaient les bienvenues.
Ce soir à minuit, une fois les festivités des célébrations terminées, le monde entrerait dans une nouvelle ère, ce serait la première année de l’Union mondiale. Cette datation remplacerait dorénavant officiellement toute les autres trop marquées religieusement et susceptibles de blesser les susceptibilités et d’engendrer des querelles. Bien sûr, cela ne se ferait pas sans quelques grincements de dents rétrogrades, mais l’enthousiasme était très largement majoritaire.
Pour marquer le début de la cérémonie, on allait maintenant procéder au lever des couleurs de l’Union Mondiale devant les 1 856 pavillons nationaux. Lentement, sur l’hymne « La paix pour toujours » joué par l’orchestre, le drapeau s’élevait sur le mat. Sur fond bleu, il figurait une carte du monde en projection azimutale équidistante, le pôle nord servant de centre, entourée par les douze étoiles d’or de l’ex-Union Européenne. C’était, en fait, l’ancien drapeau de l’ONU que l’on avait modifié pour rendre hommage à l’Union européenne qui avait été l’inspiratrice de cette réalisation. La première, elle avait pensé que le concept d’états souverains était dépassé, malgré bien des déconvenues ses dirigeants avaient tenus le cap et on pouvait maintenant jouir du résultat.
Le pavillon était tout juste arrivé au sommet du mat, quand les images se brouillèrent au même instant sur toutes les télévisions de la planète. Devant leur poste les téléspectateurs durent attendre quelques secondes avant que les chaînes n’annoncent l’effroyable nouvelle : malgré toutes les précautions en matière de sécurité une bombe avait explosé sur le site. Une bombe d’une grande puissance, certains parlaient même de nucléaire. La tribune officielle, les gradins destinés aux spectateurs, les quartiers d’habitation environnants avaient été pulvérisés. En attendant de plus amples informations, les spécialistes affluaient sur les plateaux des journaux télévisés pour donner leur avis. Bientôt, la piste de l’extrême droite nationaliste commençait à en mettre d’accord le plus grand nombre. Malgré la surveillance, les arrestations et les condamnations l’hydre fasciste n’avait pas été vaincue et leurs imprécations contre l’Union avait fini part faire des morts, des milliers de morts. Il fallait se rendre à l’évidence : les autorités avaient été trop laxistes avec elle.
Ce n’est que le lendemain, que la revendication officielle, irréfutable, parvenait aux dirigeants intérimaires et aux agences de presse. Le responsable de ce carnage était "Al Qaida", le groupe islamiste que l’on croyait définitivement dissout depuis de nombreuses années. Sur leur message ils indiquaient « que le sabre du Prophète (paix et bénédiction sur Lui) s’était abattu sur les dirigeants impies et usurpateurs et les avait réduits en poussière », le reste du texte annonçait d’autres attentats tant que le monde serait « sous la coupe des croisés » et en prenait pour preuve indéniable le drapeau de l’Union Mondial qui représentait le monde enserré entre les douze étoiles de la Vierge Marie, symbole éminemment chrétien.
09:33 | Lien permanent | Commentaires (19)
22/04/2020
Historiettes, contes et vaticinations (9)
Une petite histoire déjà mise en ligne sur ce blog le 29/01/2006 :
Le projet
Le nouveau roi était un bon roi ; il n’aimait pas la guerre. Il se mit à chercher comment l’éviter à son peuple pour toujours et après avoir longuement réfléchit au problème, il trouva enfin la solution. Il était si heureux de sa découverte qu’il fit convoquer ses ministres dans l’heure et leur dit :
- J’ai enfin trouvé le moyen d'apporter le bonheur à mon peuple ; il suffit de lui assurer la paix et pour cela de ne plus avoir d’ennemis. Comment faire, me demanderez-vous ? Rien n’est plus aisé, mes prédécesseurs ont toujours cru que l’ennemi nous obligeait à posséder des remparts, alors que c’est exactement le contraire, ce sont les remparts qui créent l’ennemi. Donc, dès demain nous allons entreprendre la démolition de toutes nos fortifications et dissoudre l'armée.
L’assemblée resta silencieuse un instant, abasourdie, puis un ministre se mit à applaudir, puis un autre et un autre encore. Bientôt la grande salle du Conseil résonnait des applaudissements et des vivats de tous les ministres. Tous ? Non, au fond de la salle, un vieux ministre attendait la fin des acclamations pour donner son avis.
Quand le calme revint, il leva la main pour demander la parole.
Le Roi le vit :
- Monsieur le Ministre de la Guerre, je crois deviner la liste des arguments que vous allez nous soumettre afin que je ne mette pas mon projet à exécution, et surtout vous vous demandez ce que vous allez devenir sans guerre, n’est-ce pas ?
Le Ministre de la Guerre essaya de se faire entendre malgré les rires moqueurs :
- Votre Altesse, je crois que...
- Monsieur le Ministre, vous m’avez toujours servi avec fidélité et compétence et en récompense de vos bons et loyaux services je vous nomme Ministre de la Paix, reste à vous d’en faire quelque chose d’efficace avec le même zèle que vous mettiez jadis à faire la guerre.
Les paroles étaient presque insultantes et les ricanements allèrent de plus belle. Le ministre ne releva pas et essaya de nouveau de se faire entendre :
- Votre Altesse, il ne s’agit pas de cela mais...
Le Roi ne le laissa pas finir :
- Messieurs, je vous remercie.
Le Grand chambellan s’avança et frappa le sol de sa lourde canne pour signifier que la séance était levée. Dans les couloirs, le ministre de la Guerre reçu quelques tapes qui se voulaient amicales et beaucoup de regards ironiques. "Ainsi vont les choses, pensa-t-il, hier encore, on n’osait faire quoi que se soit sans demander mon avis, et aujourd’hui, je suis sujet à la moquerie et à la pitié."
Les travaux allèrent bon train bien que le peuple, qui pourtant haïssait la guerre, mit quelque temps à accepter de voir ses murailles s’abattre une à une. Mais bientôt, pris dans l’euphorie, il s’enthousiasma plus encore que les Grands du Royaume. Les militaires démobilisés furent mis à contribution et firent preuve d'autant de conscience à détruire leurs forteresses que s'il s'agissait de bastions ennemis. À travers le pays ce n'était que festivités et farandoles autour des décombres de l'ancien monde.
L'ex-ministre de la Guerre tenta plusieurs fois d’approcher le Roi pour lui faire part de ses inquiétudes, mais il se fit à chaque fois éconduire sous quelque prétexte et les lettres qu'il lui envoya ne reçurent nulle réponse. Il refusa sa nouvelle charge et finit par se retirer dans son domaine campagnard. Il y continuait, bien sûr, entre promenades et lecture, à se tenir au courant du déroulement du projet royal. Les villes n’avaient plus de remparts, les forteresses avaient été démantelées et les armées dissoutes. Et plus incroyable, les pays voisins commençaient à être pris de la même frénésie. Les petits royaumes du nord, ceux de l’est, les myriades de principautés, tous s’y mirent. Il ne restait que l’empire situé le plus à l’est, à la lisière de la civilisation, face aux steppes. Il tint quelques temps, mais sous la pression des autres nations, de ses diplomates ostracisés, de ses banquiers inquiets et de ses commerçants affaiblis par le boycott de leurs marchandises, il y vint aussi. Et comme très souvent dans ces cas-là, ceux qui prennent du retard finissent par se montrer les plus zélés pour faire oublier leurs réticences passées.
Un jour pourtant, l’ex-ministre de la Guerre reçu une invitation pour assister à des festivités à la cour. Peut-être, le Roi avait-il finit par lui pardonner ou plus vraisemblablement s’agit-il d’une erreur ou d’un coup de pouce d’un ami influant resté fidèle ? Peu importait, il n’irait pas s’humilier chez ses ingrats. Il allait jeter la missive dans l'âtre de la cheminée quand il se ravisa, il irait. Une dernière fois, il essayerait de faire son devoir qui était de protéger le Royaume et les sujets de Sa Majesté.
Le jour venu, alors que les réjouissances battaient leur plein au Palais royal, il s’approcha du Roi pour lui parler. Sur son passage, les courtisans s'écartaient comme s'il s'agissait d'un malade contagieux ou d'un spectre. Bien peu le saluèrent.
- Votre Altesse.
- Oui ?
Le Roi se retourna, et en voyant son ex-ministre de la Guerre, il eu un mouvement de surprise contrarié :
- Vous ici ?
- J’ai une invitation, Votre Altesse.
- Je n’en doute pas, vous n’êtes pas homme à frauder. Que voulez-vous ?
- Une dernière fois je supplie Votre Altesse, maintenant que nos places fortes n’existent plus, de reconstituer une armée afin de défendre le Royaume en cas de conflit.
Le Roi soupira et regarda son ancien ministre, mi-irrité mi-amusé, comme un père indulgent regarde un fils un peu têtu.
- Monsieur, vous n’avez donc pas encore compris. Êtes-vous à ce point aveuglé pour ne pas voir l'évidence ? Regardez autour de vous, tout le monde se réjouit car les temps ont changé. Dorénavant, il n’y aura plus de guerres. Et vous savez pourquoi ? Parce que tout le monde aime la paix, l’a toujours aimée. C’est aussi simple que cela.
- De grâce, Votre Altesse, juste quelques bataillons. Qu'est-ce que cela peut bien changer au déroulement des événements actuels ?
- Mais tout, voyons. Mon projet n'est cohérent qu'unanimement accepté et respecté, concéder la plus petite compromission serait croire à son échec éventuel et le provoquerait par là même, j'en suis persuader. Maintenant, laissez-moi et allez vous amuser...
Il voulu rajouter "si vous en êtes capable", mais se retint.
Des mois passèrent et l’ex-ministre finit par douter du bien fondée de son obstination. Et si, finalement, le Roi avait raison ? Et si l’Homme n’était pas cette créature dont il fallait toujours se méfier ? Et si sa destinée était de vivre heureux dans la paix ? Peut-être toutes ces années de guerre lui l’avaient-elles donné une vision erronée et négative de l’humanité, en vint-il à penser. Pourtant quelque chose en lui restait à l'affût, une sourde angoisse le réveillait la nuit.
Les premières nouvelles arrivèrent au printemps de l’année suivante. Ceux des steppes avaient attaqué l’empire qui leur était frontalier. À chaque nouvelle dépêche, on apprenait que les envahisseurs s’étaient enfoncés encore plus loin dans l’empire. Bientôt, on apprit que sa capitale était tombée. Puis se fût le tour des royaumes du centre. Il succombèrent les uns après les autres. Les rescapés rapportaient d’épouvantables histoires de massacres et de déportations. Pendant que les hordes saccageaient les états du nord et s’approchaient à la vitesse de leurs chevaux des frontières du Royaume, le Roi envoya un courrier à son ex-ministre de la Guerre en lui ordonnant de former une armée de toute urgence pour défendre le pays dans le cas où ses émissaires n’arrivaient pas à convaincre "Ceux des steppes" de faire la paix. Les émissaires ne revinrent pas de leur mission. Et quand l’ennemi franchit la frontière, le chef des armées rétabli dans ses fonctions ne put leur opposer que de maigres levées mal entraînées et démoralisées. Au premier choc, la plupart se débandèrent. Ceux qui résistèrent se firent massacrer, le ministre de la Guerre en fit partie.
Bientôt toute résistance cessa. Le Roi avait été fait prisonnier lors de l’assaut de la capitale. Chargé de chaînes, il comparut devant son vainqueur afin que celui-ci décida de son sort.
- Peu m’importe le destin que vous me réservez puisque plus rien n'a désormais d'importance pour moi, mais je voudrais seulement comprendre : pourquoi ?
Le Maître des steppes et aujourd'hui souverain de la presque totalité des terres connues parut surpris par l’incongruité de la question, mais il daigna tout de même répondre :
- Pourquoi l'aigle s'abat-il sur le lièvre ?
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21/04/2020
Et après ?
Coronavirus : « Plus rien ne sera comme avant », vraiment ? Alors que la crise sanitaire bat son plein et que personne n’en connaît ni la durée ni l’issue, on voit fleurir, sous la plume de journalistes comme dans les échanges sur les réseaux sociaux, l’idée qu’après celle-ci « plus rien ne sera jamais comme avant ». Cet axiome n’est pas nouveau, il apparaît à chaque catastrophe, à chaque grande tragédie que traverse la Nation, du premier conflit mondial (« la Der des Der ») à la canicule de 2003. Mais si la pandémie du Covid-19 met clairement, et glacialement, en évidence, les impasses mortifères, pour ne pas dire criminelles, du turbo-capitalisme financier qui domine – et détermine – nos existences, en annonce-t-elle pour autant la fin et le passage à une autre société, à un autre rapport au monde ? Rien n’est moins sûr, et les exemples du passé nous invitent à la prudence et à l’humilité... Une fois la crise terminée, ou du moins jugulée, en effet, qui portera le fer dans la plaie béante – mais pas encore mortelle – du mondialisme libéral ? Un RN exsangue et décrédibilisé, dépourvu d’ossature idéologique aussi bien que de modèle alternatif ? Tout le monde voit bien que non. Des groupuscules activistes identitaires plus cohérents mais encore adolescents et presque totalement privés de moyens tant médiatiques, structurels que financiers ? Hélas, pas davantage. On connaît la formidable capacité du capitalisme mondialisé à se relever de ses chutes, à absorber les crises, à se renouveler et à se transformer pour mieux se proroger. La « fenêtre de tir » d’une véritable rupture, d’un profond changement, d’une remise en cause générale du système, de la « société de marché », sera donc très brève. Ensuite, les choses reprendront leurs cours, avec certes d’inévitables modifications – ne serait-ce que pour rassurer l’opinion publique – mais qui ne seront que superficielles et cosmétiques. Les mêmes crapules, les mêmes avidités, les mêmes mafias oligarchiques reprendront le contrôle en nous assurant bien sûr, comme après le crash de 2008, qu’ils ont « tiré les leçons » de l’expérience et que l’avenir est à nouveau radieux sous la tutelle des places boursières et de la croissance infinie. Alors qui saura saisir l’occasion, qui osera tenter le pari, qui incarnera l’espéré, l’impérieux basculement ? Aujourd’hui, on aurait malheureusement tendance à penser : personne, aucune forme politique du paysage actuel ne semblant avoir les épaules – et la volonté – pour une telle mission. Les écologistes, dans leur dimension politique, seraient peut-être les mieux armés, du moins en apparence, pour incarner ce rôle, portés notamment par une popularité croissante auprès des jeunes générations et un discours de remise en cause des dogmes productivistes. Mais ils ne peuvent en réalité nullement remplir cette fonction tant ils sont encore encombrés de scories gauchistes (immigrationnisme, déconstructivisme sociétal, ethnomasochisme …) fondamentalement incompatibles avec une véritable sortie du globalisme libéral, et tant leurs cadres se sont compromis dans des alliances « républicaines » les conduisant à largement cautionner les politiques qui ont mené à la crise actuelle. Ils pourraient d’ailleurs même être utilisés comme l’une des cartes du système pour se remette en selle et relancer en proposant une prétendue « troisième voie », un capitalisme repeint en vert à grands coups de larges pinceaux démagogiques, mais qui n’aura renoncé à aucun des ses fondamentaux ni aucune de ses finalités. On peut au moins rêver Parallèlement à cette impuissance de la politique institutionnelle, la population elle-même – une fois retrouvé le grand air, ses habitudes et son confort – souhaitera-t-elle véritablement « sauter le pas » vers une alternative aux conséquences méconnues, voudra-t-elle « décroître », sera-t-elle apte à « décoloniser son imaginaire » du totalitarisme marchand et à penser de nouveaux rapports humains et sociaux au-delà du triptyque « production-consommation-divertissement » ? On peut évidemment le souhaiter, l’espérer, mais pas le garantir… Une fois la peur passée, celle-ci sera peut-être également rapidement oubliée… Tout dépendra peut-être du bilan exact de la pandémie. Pourtant, il semble bien que seul un mouvement populaire massif et déterminé puisse imposer la rupture et la « révolution » économique et sociale nécessaire à un retour à la raison, au local, à l’autonomie et à la souveraineté. Un mouvement du type de celui des Gilets jaunes, mais débarrassé des nihilistes et instrumentalisés Black Blocs et pourvu de cadres patriotes formés et inspirés par des intellectuels organiques qui travaillent depuis des décennies à dénoncer et combattre les aberrations qui nous ont conduit là où nous sommes. En ces temps difficiles, on peut au moins rêver… Xavier Eman |
Source : éléments
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