22/10/2024
Musique (697)
Dream 13 (minus even)
Max Richter
19:30 | Lien permanent | Commentaires (17)
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Dream 13 (minus even)
Max Richter
19:30 | Lien permanent | Commentaires (17)
Commentaires
De la musique (?) *commentée* :
htt ps://www.youtube.com/watch?v=NSZB4tQClk0
Par le sympathique et compétent Etienne Guéreau, une démonstration inutile de plus sur l'universel effondrement.
On trouvera sur la chaîne une analyse des musiques employées dans les jeux vidéo qui démontre le contraire.
Comme quoi, tout bon sophiste peut prouver, en apparence, ce qu'il veut (ainsi, Guéreau, pourtant attaché aux hiérarchies, affecte de juger que tous les genres musicaux se valent). ;-)
Savoir maintenant ce que ces considérations techniques apportent vraiment... -- voir la saynète des routiers mélomanes avec Jean Yanne.
Écrit par : BR | 23/10/2024
BR > Même si les parties "technique musicale" me sont totalement étrangères, je n'ai aucune oreille, le propos est intéressant - et va dans notre sens - et comme tout passionné il arrive à communiquer quelque chose de... passionnant.
Dans le même registre ces deux vidéos de Pascal Vigné :
https://www.youtube.com/watch?v=ec7kXwKjut4
https://www.youtube.com/watch?v=Ms9Yq8zvVQs
Le sketch en question :
https://www.youtube.com/watch?v=Q8KZ8OpuruA
Écrit par : Pharamond | 23/10/2024
@Pharamond : Une découverte des soraliens, parfois bien inspirés.
Ayant involontairement entendu, à quelques reprises ces dernières années, ce qui tient lieu de "musique" à nos contemporains, j'ai été obligé de trouver, par comparaison, un petit talent à Abba qui me faisait saigner les oreilles dans les années 80 -- c'est tout dire. J'en veux à l'époque de m'avoir obligé à ça ! ;-)
Jusqu'à ce jour, je n'avais prêté aucune attention aux dernières phrases, qui semblent bien... modernes.
Écrit par : BR | 23/10/2024
BR > Lesquelles ?
Écrit par : Pharamond | 23/10/2024
@Pharamond : "Fredo, tu m'aimes ?" et la réaction.
Ils sont partout.
Écrit par : BR | 23/10/2024
Si je comprends bien les nouvelles de ces derniers jours, que le gouvernement et les assemblées comportent des drogués plus ou moins notoires n'est en rien un obstacle à ce que ces gens-là contrôlent nos vies et nous asservissent à ces règles imaginaires que sont leurs "lois" dictées par la kronnerie ou par l'intérêt de leurs maîtres -- ne jamais oublier le mot d'Anatole France à ce sujet : privés de leurs milichiens féroces et armés, les juges et politicards deviennent du gibier (la formulation a été légèrement modifiée, non le constat et ses conséquences).
Etrangement, si un importé, drogué lui aussi, se livre à quelques actes réprouvés par la common decency, il n'est pas responsable, le pauvre, et tant pis pour les victimes.
La cohérence n'est vraiment pas une vertu progressiste.
Écrit par : BR | 23/10/2024
BR > Il s'agit alors de la dernière phrase et non des dernières ;-)
On peut aussi aimer d'amitié, mais le terme est devenu avec le temps presque spécifique au langage amoureux.
"La cohérence n'est vraiment pas une vertu progressiste" et c'est pour cela que les progressistes qui adorent réciter leurs mantras entre eux ont bien du mal à supporter la controverse d'en face - j'en ai fait plusieurs fois l'expérience - et que le régime réprime les avis divergents.
Écrit par : Pharamond | 23/10/2024
@Pharamond : Acouphènes. J'ai cru entendre la réponse en plus du battement de cils. ;-)
Écrit par : BR | 23/10/2024
BR > Peut-être le bruit du battement de cil ; je dirais alors hyperacousie plutôt qu'acouphènes ;-)
Écrit par : Pharamond | 23/10/2024
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Je pense aujourd'hui à un livre de forme classique (illustrée notamment par Fraigneau), dont le projet n'est pas original : une tentative pour rendre justice à un très grand personnage injustement traité par l'Histoire. Je ne crois pas me souvenir de l'alliance[1] de cette forme et du sujet, mais instruit par l'expérience, j'interroge Shalmaneser pour découvrir avec une légère contrariété que j'ai trois prédécesseurs, trois plagiaires par anticipation ; je m'en tiendrai donc à ces quelques lignes qui donnaient le ton :
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Bien des éons -- au sens de la langue de Milton -- après l'événement, me vient enfin à l'esprit cette idée qui va, j'en ai le pressentiment, me torturer longtemps : Eve avait beau être une femme, le coup de la tentation a marché trop facilement. Et si j'avais été joué par l'Autre, le père du mensonge, comme Judas et Pilate l'ont été ? Qu'on en juge : dans cette *Genèse* qu'Il a inspirée, Il n'ose pas me nommer, qui ose faire de moi un serpent, "le plus rusé des animaux des champs", quand je déteste la campagne. Pour la vraisemblance, Il aurait pu me peindre en chat ou en renard ! Au reste, Il le sait parfaitement, j'avais figure et apparence d'homme quand j'ai détourné, en l'absence de son mari, Sa créature du chemin prévu, celui de la bêtise bovine pour l'Eternité plus quelques jours.
-- *Ego, Lucifer ou : Mon combat pour la vérité*, par Satan Mekratrig, aux éditions du Fer, Lore, Haine Paradismus.
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Le camp du Bien, le camp du Mal. La démarche initiale de l'esprit tend vers la complication ; c'est pourquoi de nombreux illuminés refusent de comprendre que les mauvaises actions entreprises contre le bétail humain n'ont qu'une source, et très simple : le goût, malsain autant qu'illimité, du pouvoir total sur autrui. Les médiocres crétins aux commandes, se prenant tous pour des incarnations de Jupiter, ont simplement la rage de voir le réel obéir à leurs ordres et les *hoi polloi* se plier à toutes leurs lubies.
Cette explication n'étant flatteuse ni pour les vils ni pour les avilis, certains illuminés des deux camps évoquent un combat eschatologique, évidemment plus grandiose : les Illuminati contre les Eveillés, les Woke contre les Awaken, le Mal contre le Bien, le Porteur de lumière contre le Tétragramme.
Quels candides...
Et ce pauvre Satan, accusé d'être un crétin manipulant des crétins pour nuire à d'autres crétins, alors qu'il est, par nature, intelligent -- voir dans les documents historiques *L'avocat du diable*, *Le ciel peut attendre* et *La neuvième porte* (à dire vrai, plus le livre que le film), ainsi que dans les commentaires des billets Carte blanche 23 et Musique 665.
Le chapitre XVIII de *La révolte des anges* en donnera les preuves, éclatantes. Puissent ces extraits inciter à lire ce roman délicieux !
//
-- Je [c'est Nectaire, un rallié à la cause de Lucifer, qui parle] l’ai connu : c’était le plus beau des Séraphins. Il brillait d’intelligence et d'audace. Son vaste coeur se gonflait de toutes les vertus qui naissent de l'orgueil : la franchise, le courage, la constance dans l'épreuve, l'espoir obstiné.
En ces temps, qui précédèrent les temps, dans le ciel boréal où brillent les sept étoiles magnétiques, il habitait un palais de diamant et d'or, frémissant à toute heure de bruits d'ailes et de chants de triomphe. Iahveh, sur sa montagne, était jaloux de Lucifer.
» Vous le savez tous deux : les anges, ainsi que les hommes, sentent germer en eux l'amour et la haine. Parfois capables de résolutions généreuses, trop souvent ils obéissent à l'intérêt, et cèdent à la peur. Alors, comme aujourd'hui, ils se montraient, pour la plupart, incapables de hautes pensées, et la crainte du Seigneur faisait toute leur vertu. Lucifer, qui avait en grand dédain les choses viles, méprisait cette tourbe d'esprits domestiques traînée dans les jeux et les fêtes. Mais à ceux qu'animaient un esprit audacieux, une âme inquiète, à ceux qu'enflammait un farouche amour de la liberté, il donnait une amitié qu'ils lui rendaient en adoration. Ceux-là désertaient en foule le Mont du Seigneur et portaient au Séraphin des hommages que l'Autre voulait pour lui seul.
» J'avais rang parmi les Dominations et mon nom d'Alaciel n'était pas sans gloire. Pour satisfaire mon esprit tourmenté par une soif insatiable de connaître et de comprendre, j'observais la nature des choses, j'étudiais les propriétés des pierres, de l'air et des eaux, je recherchais les lois qui gouvernent la matière épaisse ou subtile, et après de longues méditations, je m'aperçus que l'univers ne s'était point formé ainsi que son prétendu créateur s'efforçait de le faire croire ; je connus que tout ce qui existe, existe par soi-même et non par le caprice d'Iahveh, que le monde est à lui-même son auteur et que l'esprit est à lui-même son Dieu. Depuis lors, je méprisais Iahveh pour ses impostures et je le haïssais parce qu'il se montrait contraire à tout ce que je trouvais désirable et bon : la liberté, la curiosité, le doute. Ces sentiments me rapprochèrent du Séraphin. Je l'admirai, je l'aimai ; je vécus dans sa lumière. Lorsque enfin il apparut qu'entre lui et l'Autre il fallait choisir, je me rangeai du parti de Lucifer et n'eus plus que l'ambition de le servir, l'envie de partager son sort.
//
(C'est la défaite. Reste aux rebelles à affronter leur destin.)
//
» Mais bientôt, ayant levé les yeux, je vis le Séraphin dressé devant moi comme une tour. Sur sa splendeur première la douleur jetait sa sombre et magnifique parure.
» -- Compagnons, nous dit-il, il faut nous féliciter et nous réjouir, car nous voilà délivrés de la servitude céleste. Ici nous sommes libres, et mieux vaut la liberté dans les enfers que l'esclavage dans les cieux. Nous ne sommes point vaincus, puisqu'il nous reste la volonté de vaincre. Par nous a chancelé le trône du Dieu jaloux ; il s'écroulera par nous. Debout ! compagnons, et haut les coeurs !
» Aussitôt, à son commandement, nous entassâmes montagnes sur montagnes et nous dressâmes au faîte des machines qui lancèrent des rochers enflammés contre les demeures divines. La troupe céleste en fut étonnée, et du séjour de gloire jaillirent des gémissements et des cris d'épouvante. Déjà nous pensions rentrer en vainqueurs dans notre haute patrie ; mais le Mont du Seigneur se couronna d'éclairs et la foudre, tombant sur notre forteresse, la réduisit en poudre.
» Après ce nouveau désastre, le Séraphin demeura quelque temps songeur, la tête dans les mains. Puis il montra son visage noirci. Maintenant, il était Satan plus grand que Lucifer. Les anges fidèles se pressaient autour de lui.
» — Amis, nous dit-il, si nous n'avons pas déjà vaincu, c'est que nous ne sommes ni dignes ni capables de vaincre. Sachons ce qui nous a manqué. On ne règne sur la nature, on n'acquiert l'empire de l'Univers, on ne devient Dieu que par la connaissance. Il nous faut conquérir la foudre ; c'est à cela que nous devons nous appliquer sans relâche. Or, ce n'est pas l'aveugle courage (nul en ce jour n'eut plus de courage que vous) qui nous livrera les carreaux divins : c'est l'étude et la réflexion. En ce muet séjour où nous sommes tombés, méditons, recherchons les causes cachées des choses. Observons la nature ; poursuivons-la d'une puissante ardeur et d'un conquérant désir ; efforçons-nous de pénétrer sa grandeur infinie et son infinie petitesse. Sachons quand elle est stérile et quand elle est féconde ; comment elle fait le chaud et le froid, la joie et la douleur, la vie et la mort ; comment elle assemble et divise ses éléments, comment elle produit et l'air subtil que nous respirons et les rochers de diamant et de saphir d'où nous avons été précipités, et le feu divin qui nous a noircis et la pensée altière qui agite nos esprits. Déchirés de larges blessures, brûlés de flammes et de glaces, rendons grâce au destin qui a pris soin de nous ouvrir les yeux, et réjouissons-nous de notre sort. C'est par la douleur que, faisant une première expérience de la nature, nous sommes excités à la connaître et à la dompter. Quand elle nous obéira nous serons des Dieux. Mais dût-elle nous celer à jamais ses mystères, nous refuser des armes et garder le secret de la foudre, nous devons encore nous applaudir de connaître la douleur, puisqu'elle nous révèle des sentiments nouveaux, plus précieux et plus doux que tous ceux qu'on éprouve dans la béatitude éternelle, puisqu'elle nous inspire l'amour et la pitié, inconnus aux cieux.
//
(Lucifer et ses compagnons d'armes aideront les premiers hommes, leurs frères inférieurs, parce qu'ils discernent chez eux "une audace pareille à la leur et les germes de cette fierté, cause de leurs tourments et de leur gloire." Et c'est sous l'apparence de l'aimable Dionysos que le Rebelle se montrera.)
//
[1] On a eu les mémoires ou le journal du Tétragramme, d'Adam et d'Eve, mais l'autobiographie de Lucifer me semblait une petite nouveauté -- mauvaise mémoire, sans doute.
Écrit par : BR | 27/10/2024
J'entends encore Madame N., brillante sévrienne agrégée de lettres classiques, lire, au tout premier cours de latin, plusieurs passages de *La cité antique* pour nous inciter à considérer l'Antiquité objectivement, avec le détachement de l'ethnologue confronté à des extra-terrestres : "Pour connaître la vérité sur ces peuples anciens, il est sage de les étudier sans songer à nous, comme s'ils nous étaient tout à fait étrangers, avec le même désintéressement et l'esprit aussi libre que nous étudierions l'Inde ancienne ou l'Arabie." -- sage conseil de Fustel de Coulanges sur le point de faire revivre une Antiquité qui fait peur, aussi peur que l'Amérique présentée plus tard par Behr.
A lire les extraits *infra*, qui attristent le *laudator temporis acti* n'ayant rien d'un *amicus temporis novi*, on verra que dans leur rage de contrôler, de voler et de tuer, les tarés de Davos (maîtres, exécutants et autres complices), tous chaotiques mauvais, ne sont même pas originaux. Les prétextes et les méthodes du pouvoir peuvent changer, ses procédés restent.
Vivement le Big One ou équivalent.
// III, xvii
Le citoyen était soumis en toutes choses et sans nulle réserve à la cité; il lui appartenait tout entier. La religion qui avait enfanté l'État, et l'État qui entretenait la religion, se soutenaient l'un l'autre et ne faisaient qu'un; ces deux puissances associées et confondues formaient une puissance presque surhumaine à laquelle l'âme et le corps étaient également asservis.
Il n'y avait rien dans l'homme qui fût indépendant. Son corps appartenait à l'État et était voué à sa défense; à Rome, le service militaire était dû jusqu'à cinquante ans, à Athènes jusqu'à soixante, à Sparte toujours. Sa fortune était toujours à la disposition de l'État; si la cité avait besoin d'argent, elle pouvait ordonner aux femmes de lui livrer leurs bijoux, aux créanciers de lui abandonner leurs créances, aux possesseurs d'oliviers de lui céder gratuitement l'huile qu'ils avaient fabriquée.
La vie privée n'échappait pas à cette omnipotence de l'État. [...]
Il y a dans l'histoire de Sparte un trait que Plutarque et Rousseau admiraient fort. Sparte venait d'éprouver une défaite à Leuctres et beaucoup de ses citoyens avaient péri. A cette nouvelle, les parents des morts durent se montrer en public avec un visage gai. La mère qui savait que son fils avait échappé au désastre et qu'elle allait le revoir, montrait de l'affliction et pleurait. Celle qui savait qu'elle ne reverrait plus son fils, témoignait de la joie et parcourait les temples en remerciant les dieux. Quelle était donc la puissance de l'État, qui ordonnait le renversement des sentiments naturels et qui était obéi!
L'État n'admettait pas qu'un homme fût indifférent à ses intérêts; le philosophe, l'homme d'étude n'avait pas le droit de vivre à part. C'était une obligation qu'il votât dans l'assemblée et qu'il fût magistrat à son tour. Dans un temps où les discordes étaient fréquentes, la loi athénienne ne permettait pas au citoyen de rester neutre; il devait combattre avec l'un ou avec l'autre parti; contre celui qui voulait demeurer à l'écart des factions et se montrer calme, la loi prononçait la peine de l'exil avec confiscation des biens.
Il s'en fallait de beaucoup que l'éducation fût libre chez les Grecs. Il n'y avait rien, au contraire, où l'État tînt davantage à être maître. A Sparte, le père n'avait aucun droit sur l'éducation de son enfant. La loi paraît avoir été moins rigoureuse à Athènes; encore la cité faisait-elle en sorte que l'éducation fût commune sous des maîtres choisis par elle. Aristophane, dans un passage éloquent, nous montre les enfants d'Athènes se rendant à leur école; en ordre, distribués par quartiers, ils marchent en rangs serrés, par la pluie, par la neige ou au grand soleil; ces enfants semblent déjà comprendre que c'est un devoir civique qu'ils remplissent. L'État voulait diriger seul l'éducation, et Platon dit le motif de cette exigence: «Les parents ne doivent pas être libres d'envoyer ou de ne pas envoyer leurs enfants chez les maîtres que la cité a choisis; car les enfants sont moins à leurs parents qu'à la cité.» L'État considérait le corps et l'âme de chaque citoyen comme lui appartenant; aussi voulait-il façonner ce corps et cette âme de manière à en tirer le meilleur parti. [...]
Les anciens ne connaissaient donc ni la liberté de la vie privée, ni la liberté d'éducation, ni la liberté religieuse. La personne humaine comptait pour bien peu de chose vis-à-vis de cette autorité sainte et presque divine qu'on appelait la patrie ou l'État. L'État n'avait pas seulement, comme dans nos sociétés modernes, un droit de justice à l'égard des citoyens. Il pouvait frapper sans qu'on fût coupable et par cela seul que son intérêt était en jeu. Aristide assurément n'avait commis aucun crime et n'en était même pas soupçonné; mais la cité avait le droit de le chasser de son territoire par ce seul motif qu'Aristide avait acquis par ses vertus trop d'influence et qu'il pouvait devenir dangereux, s'il le voulait. On appelait cela l'ostracisme; cette institution n'était pas particulière à Athènes; on la trouve à Argos, à Mégare, à Syracuse, et nous pouvons croire qu'elle existait dans toutes les cités grecques. Or l'ostracisme n'était pas un châtiment; c'était une précaution que la cité prenait contre un citoyen qu'elle soupçonnait de pouvoir la gêner un jour. A Athènes on pouvait mettre un homme en accusation et le condamner pour incivisme, c'est-à-dire pour défaut d'affection envers l'État. La vie de l'homme n'était garantie par rien dès qu'il s'agissait de l'intérêt de la cité. Rome fit une loi par laquelle il était permis de tuer tout homme qui aurait l'intention de devenir roi. La funeste maxime que le salut de l'État est la loi suprême, a été formulée par l'antiquité. On pensait que le droit, la justice, la morale, tout devait céder devant l'intérêt de la patrie.
C'est donc une erreur singulière entre toutes les erreurs humaines que d'avoir cru que dans les cités anciennes l'homme jouissait de la liberté. Il n'en avait pas même l'idée. Il ne croyait pas qu'il pût exister de droit vis-à-vis de la cité et de ses dieux. Nous verrons bientôt que le gouvernement a plusieurs fois changé de forme; mais la nature de l'État est restée à peu près la même, et son omnipotence n'a guère été diminuée. Le gouvernement s'appela tour à tour monarchie, aristocratie, démocratie; mais aucune de ces révolutions ne donna aux hommes la vraie liberté, la liberté individuelle. Avoir des droits politiques, voter, nommer des magistrats, pouvoir être archonte, voilà ce qu'on appelait la liberté; mais l'homme n'en était pas moins asservi à l'État. Les anciens, et surtout les Grecs, s'exagérèrent toujours l'importance et les droits de la société; cela tient sans doute au caractère sacré et religieux que la société avait revêtu à l'origine.
// IV, xii
La démocratie ne supprima pas la misère: elle la rendit, au contraire, plus sensible. L'égalité des droits politiques fit ressortir encore davantage l'inégalité des conditions.
Comme il n'y avait aucune autorité qui s'élevât au-dessus des riches et des pauvres à la fois, et qui pût les contraindre à rester en paix, il eût été à souhaiter que les principes économiques et les conditions du travail fussent tels que les deux classes fussent forcées de vivre en bonne intelligence. [...]
Il [le pauvre] organisa une guerre en règle contre la richesse. Cette guerre fut d'abord déguisée sous des formes légales; on chargea les riches de toutes les dépenses publiques, on les accabla d'impôts, on leur fit construire des trirèmes, on voulut qu'ils donnassent des fêtes au peuple. Puis on multiplia les amendes dans les jugements; on prononça la confiscation des biens pour les fautes les plus légères. Peut-on dire combien d'hommes furent condamnés à l'exil par la seule raison qu'ils étaient riches? La fortune de l'exilé allait au trésor public, d'où elle s'écoulait ensuite, sous forme de triobole, pour être partagée entre les pauvres. Mais tout cela ne suffisait pas encore: car le nombre des pauvres augmentait toujours. Les pauvres en vinrent alors à user de leur droit de suffrage pour décréter soit une abolition de dettes, soit une confiscation en masse et un bouleversement général.
[...]
Nous avons déjà dit que la cité, surtout chez les Grecs, avait un pouvoir sans limites, que la liberté était inconnue, et que le droit individuel n'était rien vis-à-vis de la volonté de l'État. Il résultait de là que la majorité des suffrages pouvait décréter la confiscation des biens des riches, et que les Grecs ne voyaient en cela ni illégalité ni injustice. Ce que l'État avait prononcé, était le droit. [...]
Dans cette période de l'histoire grecque, toutes les fois que nous voyons une guerre civile, les riches sont dans un parti et les pauvres dans l'autre. Les pauvres veulent s'emparer de la richesse, les riches veulent la conserver ou la reprendre. «Dans toute guerre civile, dit un historien grec, il s'agit de déplacer les fortunes.» [...]
Les classes élevées n'ont jamais eu chez les anciens assez d'intelligence ni assez d'habileté pour tourner les pauvres vers le travail et les aider à sortir honorablement de la misère et de la corruption. Quelques hommes de coeur l'ont essayé; ils n'y ont pas réussi. Il résultait de là que les cités flottaient toujours entre deux révolutions, l'une qui dépouillait les riches, l'autre qui les remettait en possession de leur fortune. [...]
Dans chaque cité, le riche et le pauvre étaient deux ennemis qui vivaient à côté l'un de l'autre, l'un convoitant la richesse, l'autre voyant sa richesse convoitée. Entre eux nulle relation, nul service, nul travail qui les unît. Le pauvre ne pouvait acquérir la richesse qu'en dépouillant le riche. Le riche ne pouvait défendre son bien que par une extrême habileté ou par la force. Ils se regardaient d'un oeil haineux. C'était dans chaque ville une double conspiration: les pauvres conspiraient par cupidité, les riches par peur. Aristote dit que les riches prononçaient entre eux ce serment: «Je jure d'être toujours l'ennemi du peuple, et de lui faire tout le mal que je pourrai.»
Il n'est pas possible de dire lequel des deux partis commit le plus de cruautés et de crimes. Les haines effaçaient dans le coeur tout sentiment d'humanité. «Il y eut à Milet une guerre entre les riches et les pauvres. Ceux-ci eurent d'abord le dessus et forcèrent les riches à s'enfuir de la ville. Mais ensuite, regrettant de n'avoir pu les égorger, ils prirent leurs enfants, les rassemblèrent dans des granges et les firent broyer sous les pieds des boeufs. Les riches rentrèrent ensuite dans la ville et redevinrent les maîtres. Ils prirent, à leur tour, les enfants des pauvres, les enduisirent de poix et les brûlèrent tout vifs.»
[...]
On ne voyait plus de vrais gouvernements, mais des factions au pouvoir. Le magistrat n'exerçait plus l'autorité au profit de la paix et de la loi, mais au profit des intérêts et des convoitises d'un parti. Le commandement n'avait plus ni titres légitimes ni caractère sacré; l'obéissance n'avait plus rien de volontaire; toujours contrainte, elle se promettait toujours une revanche. La cité n'était plus, comme dit Platon, qu'un assemblage d'hommes dont une partie était maîtresse et l'autre esclave. On disait du gouvernement qu'il était aristocratique quand les riches étaient au pouvoir, démocratique quand c'étaient les pauvres. [...]
Sauf deux ou trois honorables exceptions, les tyrans qui se sont élevés dans toutes les villes grecques au quatrième et au troisième siècle, n'ont régné qu'en flattant ce qu'il y avait de plus mauvais dans la foule et en abattant violemment tout ce qui était supérieur par la naissance, la richesse ou le mérite. Leur pouvoir était illimité; les Grecs purent reconnaître combien le gouvernement républicain, lorsqu'il ne professe pas un grand respect pour les droits individuels, se change facilement en despotisme. Les anciens avaient donné un tel pouvoir à l'État, que le jour où un tyran prenait en mains cette omnipotence, les hommes n'avaient plus aucune garantie contre lui, et qu'il était légalement le maître de leur vie et de leur fortune.
//
Evidemment, faudrait toujours, dans l'intérêt de la raison, dater -- mais l'intérêt, au fond, dans ces temps de profondes ténèbres, de faire preuve d'exactitude, de précision ou de sens des nuances ?
Toute ressemblance...
Le texte existe chez Champs/Flammarion (avec une préface assez dénigrante, en tout cas dans l'édition de 1984), wikisource et gutenberg.
Écrit par : BR | 28/10/2024
BR > L'anachronisme est le premier péché en histoire, parait-il.
Écrit par : Pharamond | 29/10/2024
BR > Autres temps, autres mœurs…
Écrit par : Pharamond | 29/10/2024
@Pharamond : Très mignonne, la Gibson Girl abandonnant un instant sa lecture pour rêver.
Plaisant aussi, le blindé à base d'Hispano Suiza. ;-) Avec ce matériel, on a une chance face aux milichiens.
Écrit par : BR | 30/10/2024
BR > J'aime bien le style de Gibson, simple et élégant.
Il nous faudrait de l'infanterie pour exploiter la percée et vu la motivation de nos concitoyens ce sera très difficile de dépasser l'effectif d'une escouade.
Écrit par : Pharamond | 30/10/2024
@Pharamond : Je sais, mais l'espace d'un instant... :-(
Écrit par : BR | 30/10/2024
BR > Eh oui, l'espoir, ce fol espoir que l'on dit devoir conserver contre vents et marées et dont on a, en fait, beaucoup de mal à se défaire.
Écrit par : Pharamond | 31/10/2024
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