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29/05/2012

Éternité

Un des fuyards se retourna et décocha sans viser une flèche avant de prendre les jambes à son cou. Apollinadès tomba raide mort. La flèche lui avait traversé la nuque et lui était ressortie par la bouche au moment où il se tournait pour haranguer les soldats. S’écroulant dans la poussière, ses dents se brisèrent sur cette langue de fer. Toute la scène n’avait duré qu’un instant, drame violent, ramassé en profondeur, pur comme un profil de médaille antique.

J’ai toujours pensé que la mort était une chose laide et surtout insignifiante, mais là, dans ce paysage désertique, nu, je me dis qu’elle avait du caractère, qu’elle était un achèvement grâce auquel l’homme devient une partie intégrante de l’Histoire. Je pensai à ses jeunes héros de la Grèce. Dans son sacrifice inutile, Apollinadès les avait rejoints, ainsi que Léonidas et ses Spartiates, les phalanges d’Alexandre et les légionnaires des Césars. Je le revois encore s’élancer vers la mort comme s’il courait retrouver son épouse. Ah, Apollinadès, j’envie ta vie si droite et nette, sans ornement ni artifice, toute tendue vers un seul but ! Cette existence où il n’y a rien à ajouter ni à retrancher. Quel artiste tu as fait ! Aujourd’hui, la mort t’éteint, mais tu ne t’éteins pas. Aujourd’hui, tu quittes une lumière pour une autre lumière. Les uns diront que tu es mort, les autres que tu as été tué. Mensonge. Tu as ouvert la porte de ton ombre et tu y es entré. 

Joseph Macé-Scarron

Trébizonde avant l’oubli

 

Commentaires

et qui est cet Apollinadès ?

Écrit par : Paul-Emic | 30/05/2012

C'est manifestement le héros d'un roman contemporain. Ce qui est intéressant dans ce passage, c'est la position du narrateur, dont on se demande s'il affecte d'écrire du point de vue d'alors (convention dominante du roman historique, voir Flaubert dans Salammbô ?) ou bien s'il assume le regard d'aujourd'hui posé sur des faits antiques. On hésite à la lecture du commentaire sur la mort qui achève l'extrait plus crédible, car même si on y sent l'exposé de ce que pouvait être en gros la conception indo-européenne de l'immortalité païenne, on peut douter que cette conception implicite ait suscité ce genre de discours à la fois spéculatif et affectif. C'était une des faiblesses du paganisme : à vrai dire, on ne savait pas très bien ce qui pouvait arriver dans l'au-delà, royaume des ombres plutôt qu' "autre lumière". C'était "l'Enfer", les "inferna", lieux "inférieurs" (non le Ciel !), monde souterrain obscur, celui-même des tombeaux, avec lequel on ne communiquait pas facilement. Les morts nous entendent-ils ? Agamemnon entend-t-il les supplications d'Electre ?
J'avoue ne pas connaître l'auteur.

Écrit par : Nathanaël | 30/05/2012

"Trébizonde avant l’oubli" est un de mes romans préférés, il a été écrit par Joseph Macé-Scarron un journaliste politique du Figaro me semble-t-il (ses romans suivants ont déçu). Bref, l'histoire raconte à la première personne les dernières années de David II, empereur de Trébizonde, de son couronnement en 1458 à l'invasion de Mehmed II en 1461, date où cet empire, dernier héritage de Constantinople et qui lui survécu 8 ans, disparut.

Écrit par : Pharamond | 30/05/2012

J'oubliais ; Apollinadès n'est dans le roman qu'un officier presque anonyme qui mène une petite troupe à l'assaut de pillards turcs après qu'ils aient razzié des villages chrétiens.

Écrit par : Pharamond | 30/05/2012

me voilà instruit.

Écrit par : Paul-Emic | 30/05/2012

Eh bien j'ai tout faux. Je situais cette intrigue dans l'antiquité, abusé par la toponymie et l'onomastique grecques, aussi par le petit discours sur la mort. C'était donc une byzantinerie, genre romanesque après tout plus original. Non Salammbô, mais plutôt Jean-Paul Laurens.

Écrit par : Nathanaël | 31/05/2012

je faisais la même erreur Nathanaël, mais dans je ne voyais pas qui était ce héros.

Écrit par : Paul-Emic | 31/05/2012

Il faut avouer que dans le genre romans historiques les byzantineries sont plus rares que les autres grandes périodes classiques.

Écrit par : Pharamond | 31/05/2012

Ce texte est superbe et la dernière phrase est grandiose.

Écrit par : Martin Lothar | 01/06/2012

Merci d'apprécier ce texte que j'aime beaucoup.

Écrit par : Pharamond | 01/06/2012

Les commentaires sont fermés.