statistiques web gratuite

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/11/2024

Musique (698)

River King

Simon Boswell

Commentaires

Aucune relation avec la rivière et la cascade de notes... ;-)

*Animal Farm* est, à mon sens, le meilleur texte d'Orwell. Simon Leys était, lui aussi, de cet avis, comme le démontre une note instructive, aux pages 62 et 63 de son excellent *Orwell ou l'horreur de la politique*, chez Champs Essais (2014) :
//
*Animal Farm*, qui est certainement son oeuvre la plus parfaite -- la seule aussi dont il fut lui-même vraiment satisfait --, a été rédigé rapidement (de novembre 1943 à février 1944 : en moins de quatre mois !) et avec allégresse dans une sorte d'état de grâce. Sa publication par contre s'avéra laborieuse et fut retardée pendant un an et demi. Plusieurs grands éditeurs qui, *devançant les instructions* [souligné par moi -- BR] du ministère de l'information, pratiquaient l'autocensure refusèrent successivement le manuscrit : cette satire de la révolution soviétique était offensante pour un allié officiel de la Grande-Bretagne et risquait donc d'aller à l'encontre de la politique gouvernementale. Mais les éditeurs anglais étaient au moins conscients de la valeur d'un livre qu'ils ne refusaient que par lâcheté ; en Amérique, ce chef-d'oeuvre commença par se heurter à la bêtise pure et simple : ainsi le premier éditeur pressenti objecta que "les histoires d'animaux ne se vendent plus" !
//
Chez les Angliches, l'obéissance allant au devant des ordres (secrétaires de rédaction, éditeurs, journalopes, héméralopes et nyctalopes : même combat !) ; chez les Ricains, la sottise au front de Thoreau ou de bison. J'imagine que chez les Français, laquais foutriquétistes par anticipation, on aurait eu, dans la même situation, les deux traits *simultanément*.

En 1991, la célèbre[0] American Sequel Society avait envisagé de publier la suite d'*Animal Farm*, inédite à l'époque[1], mais elle semble avoir abandonné ce beau projet ; c'est bien dommage car à considérer la maquette de sa couverture, *Vegetable Farm* est probablement un chef-d'oeuvre digne de l'original. C'est le dessin d'une carotte regardant avec un air féroce trois légumes qu'elle domine[2] aisément puisqu'elle est injustement favorisée par sa taille. En bon citadin que je suis, j'ai renoncé à identifier ces trois légumes -- peut-être un chou, une tomate[3] et un poivron -- affichant tous la crispante expression de bonheur imbécile qu'on peut admirer chez un ancien président français au sourire de crétin ou chez une ancienne ministricule poussant des cris de joie hystérique en se baignant dans les répugnantes eaux de la Seine.
Le texte d'accroche était simple qui résumait le probable argument du livre : "He wants to take over. They couldn't care less."
La quatrième de couv' prévue disait tout :
//
With its storybook simplicity and barnyard setting, George Orwell's *Animal Farm* was perhaps the slyest allegorical tale of human prejudice and political corruption ever written. *Vegetable Farm*, a sequel completed just before Orwell's death in 1950, conveys a very different message. "Do you recognize this carrot ?" Orwell seems to ask. Are we ourselves the apathetic romaine, the dispassionate kohlrabi[4], the stupefied potatoes unmindful of the threat of a newly malevolent tuber[5] ? Or is everything just going to be okay ? Or what ?
//
Il n'y a hélas rien de plus sur *Vegetable Farm* dans le très divertissant -- même si souvent trop américain pour d'évidentes raisons -- *Book of Sequels* composé par Henry Beard et ses habituels brillants complices.

Retour à l'essai de Leys avec ces quelques réflexions tirées de l'annexe I, pour inciter à lire l'ouvrage et, bien évidemment, à [re]lire Orwell :
//
La vraie distinction n'est pas entre conservateurs et révolutionnaires mais entre les partisans de l'autorité et les partisans de la liberté. (p. 80)
//
Le premier effet de la pauvreté est de tuer la pensée […]. On n'échappe pas à l'argent du simple fait qu'on est sans argent. (p. 84)
//
Il est évident que l'âge du libre capitalisme touche à sa fin et qu'un pays après l'autre est en train d'adopter une économie centralisée que l'on peut appeler socialisme ou capitalisme d'État, comme on veut. Dans ce système, la liberté économique de l'individu et dans une large mesure sa liberté tout court -- liberté d'agir, de choisir son travail, de circuler -- disparaissent. Ce n'est que tout récemment que l'on a commencé à entrevoir les implications de ce phénomène. Précédemment on n'avait jamais imaginé que la disparition de la liberté économique pourrait affecter la liberté intellectuelle. On pensait d'ordinaire que le socialisme était une sorte de libéralisme augmenté d'une morale. L'État allait prendre votre vie économique en charge et vous libérerait de la crainte de la pauvreté, du chômage, etc., mais il n'aurait nul besoin de s'immiscer dans votre vie intellectuelle privée. Maintenant la preuve a été faite que ces vues étaient fausses. (pp. 90 et 91)
//
Ceux qui prennent le glaive périront par le glaive -- et ceux qui ne prennent pas le glaive périront par le glaive des autres. (p. 92!)
//
Si quelqu'un laisse tomber une bombe sur votre mère, laissez tomber deux bombes sur la sienne. Il n'y a pas d'autre alternative : ou bien vous pulvérisez des maisons d'habitation, vous faites sauter les tripes des gens, vous brûlez des enfants -- ou bien vous vous laissez réduire en esclavage par un adversaire qui est encore plus disposé que vous à commettre ce genre de choses. Jusqu'à présent personne n'a encore suggéré de solution concrète pour échapper à ce dilemme. (p. 94)
//
Ce qui est terrifiant dans les dictatures modernes, c'est qu'elles constituent un phénomène entièrement sans précédent. On ne peut prévoir leur fin. Autrefois, toutes les tyrannies se faisaient tôt ou tard renverser, ou à tout le moins elles provoquaient une résistance, du seul fait que la "nature humaine", dans l'ordre normal des choses, aspire toujours à la liberté. Mais rien ne garantit que cette "nature humaine" soit un facteur constant. Il se pourrait fort bien qu'on arrive à produire une nouvelle race d'hommes, dénuée de toute aspiration à la liberté, tout comme on pourrait créer une race de vaches sans cornes. (pp. 96 et 97)
//
Le meilleur moyen de cacher une vérité dont on peut craindre qu'elle ne devienne visible est donc de fabriquer un document qui la décrive exactement, et qu'on laisse traîner. Personne n'osera le prendre au sérieux, et la vérité restera ainsi aussi invisible qu'au fond d'un puits.
(p. 109!)
//

[0] Autrement dit, je dois faire partie des happy very, very, very few à la connaître, en France comme aux Estados Desunidos. Son édition de *L'idiot* et de ses suites est vivement conseillée -- attention, elle doit être *très* difficile à trouver.
[1] Le texte est toujours inédit. Shalmaneser lui-même ne dénonce aucun site Internet proposant le manuscrit. ;-) Aurait-on mauvais esprit qu'on verrait dans cette situation le résultat d'une... conspiration. F&L va ou vont enquêter : les textes imaginaires ont le droit d'exister.
[2] Verticalité du pouvoir, horizontalité de ses victimes -- d'ailleurs consentantes.
[3] Je sais.
[4] Le mot, insolite et exotique, figure bien dans les dictionnaires anglais-français.
[5] Savoir si la carotte en est un... Faudrait sans doute vérifier pour encombrer sa mémoire d'un nouveau fait inutile dans la conduite de la vie (voir Holmes et le système solaire) ; on renonce.
[6] Yep, y'a pas d'appel de note. Juste un prétexte pour signaler que l'identification des légumes, dans le projet de 4ème de couv', semble contestable. Tout cela, c'est de la verdure, même quand c'est rouge, orange ou violet.

Écrit par : BR | 02/11/2024

Écrire un commentaire