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09/07/2015

La liberté sadique

          « C'est dans cet éclairage, et non autrement, qu'il faut apprécier les déclamations de Sade contre l'État, la Justice, la religion et le Morale. Il est contre la peine de mort ? Parbleu ! De sa part, à lui, c'est bien naturel puisqu'il est pour l'assassinat ! Il est pour l'émancipation des femmes ? Certes ! Car c'est le bon moyen de les livrer sans défense aux marchands d'esclaves qui se chargeront de les transformer en chair à plaisir, chair à torture, chair à meurtre ! Et tout cela, sans risquer d'ennuis de la part des maris ou des frères ! Pour ces mêmes raisons, il serait, de nos jours, partisan de l'émancipation des jeunes, il donnerait le bulletin de vote aux nourrissons, et le bébé, à peine venu au monde, serait majeur libre... Avouez que c'est tout de même ennuyeux, qu'on ne puisse pas tuer un gosse sans avoir aussitôt les parents sur le dos.

          La vérité, c'est qu'en dépit du préjugé commun, la démocratie politique n'a rien à voir avec la Liberté. Tout au long de l'histoire, depuis les Athéniens du Ve siècle jusqu'au États-Unis d'Amérique, en passant par la Genève de Calvin et l'Angleterre de Cromwell, les républiques n'ont jamais bien fonctionné qu'en milieu puritain, c'est-à-dire là où la bigoterie, le rigorisme, la sévérité des mœurs, la contrainte du collectif et la peur du qu'en dira-t-on remplaçaient avantageusement les mesures de répression traditionnelles. Quand le puritanisme disparaît, le démocratie se dégrade aussitôt. Le peuple redevient jouisseur, tricheur, râleur, avide, irresponsable, ingouvernable. L'esprit de revendication et de resquille se généralise, rendant inévitable le retour de la « manière forte ».

          Sade est un garde-fou. Si les intellectuels de gauche étaient un peu plus futés, ils le tiendraient pour leur pire ennemi, car il vend, comme on dit, la mèche : il nous fait toucher du doigt les conséquences de la Liberté, sitôt qu'on veut faire d'elle un absolu. Saluons en lui, non seulement l'artiste du langage et le maître de rire, mais aussi le plus grandiose, le plus suavement perfide des écrivains réactionnaires. » 

Pierre Gripari in Éléments - 1977

Le devoir de blasphème

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