05/01/2011
Histoire... (60)
Comment un état juif a failli naître sur le Bassin
L'historien Jean-Claude Riehl publie dans le bulletin de la Société historique une étude de négociations menées au XVIIIe pour la création d'un État juif dans le Bassin.
Voilà une drôle d'histoire. Elle est racontée dans le dernier bulletin de la Société historique et archéologique d'Arcachon et du Pays de Buch par Jean-Claude Riehl, un Alsacien d'origine qui fut professeur d'histoire à Arcachon. Jean-Claude Riehl décrypte dans ce bulletin une lettre envoyée à Napoléon par Fouché, le ministre de la police, qui reprend un rapport de police daté du 1er février 1807. Et voici ce qu'elle dit : « En février 1793, le conseil du comte de Lille, qui se disait alors régent du royaume, discuta un projet de convention offert par les Juifs. Il s'agissait de leur céder la baie d'Arcachon et toutes les landes de ce territoire entre Bordeaux et Bayonne, pour être tenues par eux en propriété, sous la suzeraineté de la couronne. Ils devaient cultiver ces landes, y bâtir une ou plusieurs villes ; le tout régi et administré d'après leurs lois religieuses, leurs usages civils et leur jurisprudence particulière, sauf les cas de contestation avec un chrétien, dans lesquels des commissaires royaux résidant dans ces villes auraient intervenu et prononcé. Les Juifs offraient 25 millions. »
Jean-Claude Riehl a retrouvé ce texte en fouillant les legs d'anciens historiens locaux, les fonds Rebsomen et Ragot. La négociation dont parle ce rapport de police a en effet de quoi intriguer. Le comte de Lille n'est autre que le futur Louis XVIII qui prendra le trône après la chute de Napoléon. Le propriétaire de Certes Alors y a-t-il du vrai dans ce que Fouché raconte à Napoléon ? C'est ce à quoi s'est attelé Jean-Claude Riehl. L'interprétation initiale, celle de l'historien Bernhard Blumenkranz, consistait à dire que Fouché avait monté cette histoire contre les Juifs de France. Peut-être… Mais Jean-Claude Riehl n'y croit pas. Il rassemble dans son article un faisceau d'indices laissant penser que cette négociation a bel et bien eu lieu. Il y a d'abord des éléments de contexte. Le XVIIIe siècle est celui des physiocrates qui considèrent que la richesse d'un pays provient exclusivement de son agriculture qui est la seule création annuelle de richesse et prône donc le défrichement et la mise en culture partout où c'est possible. À cette époque, la population augmente et les terres manquent. Les landes de la baie d'Arcachon ne demandent qu'à devenir cultivables. L'idée d'y envoyer des juifs n'est à l'époque pas farfelue, parce que les ghettos juifs débordent et qu'il faut bien employer ces masses pauvres, et donc « dangereuses ». D'ailleurs, un inspecteur des Manufactures, François de Paul Latapie, en 1778, écrit « que les Juifs ont sollicité la concession de ce pays inculte qui s'étend depuis Sainte-Croix jusqu'à Belvès », en Dordogne, projet auquel s'opposa l'archevêque de Bordeaux. Alors pourquoi pas Arcachon ? D'autre part, trois personnes sont de la négociation évoquée par le rapport de police, M. Hermann, un diplomate écouté et employé par Napoléon, M. Cruchin et d'Auberval. Or, ce dernier est alors le propriétaire du château de Certes. L'histoire est si ironique… Enfin, Jean-Claude Riehl regarde le nord de l'Europe puisque le rapport de police évoque l'ouverture de négociation à Amsterdam dès la fin de 1791 : « Les Juifs hollandais écrivirent à leurs coreligionnaires en Portugal et à Londres pour conférer et arrêter le projet avec les Juifs anglais. » Il a même trouvé un personnage permettant de faire le lien entre la diaspora du nord de l'Europe et la Gironde : le Bordelais Abraham Gradis, décédé en 1790, mais qui possédait des comptoirs à Londres et Amsterdam et qui était proche des Bourbons et donc du futur Louis XVIII : « Comment ne pas imaginer que Gradis est à l'origine de ce projet de par l'importance de ses contacts. » Pour Jean-Claude Riehl, « ce faisceau d'arguments devrait permettre de lire ce projet sous un jour nouveau et de le classer parmi les grands projets de colonisation des Landes et du bassin d'Arcachon ». La petite histoire s'arrête là : les évêques de Bordeaux et d'Arras se sont opposés au projet qui n'a donc pas eu de suite. Reste que la grande histoire ne manque pas d'ironie : en 1850, les frères Émile et Isaac Pereire, de confession juive, fondèrent la ville d'Arcachon…
David Patsouris |
Source : Sud-Ouest du 03/01/11
Et moi qui suis bordelais et qui ai vécu mon enfance dans le Médoc, j'ai failli être une sorte de Palestinien.
16:49 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Au moins ça démontre une constante, l'intégration n'était pas leur but
Écrit par : Paul-Emic | 08/01/2011
... et que j'ai failli naître dans un camp de réfugiés !
Écrit par : Pharamond | 08/01/2011
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