04/02/2009
Trahison de la mémoire
L’analyse psychologique du témoignage est, en philosophie, une des questions dont les conséquences sociales sont évidentes, mais dont les répercussions les plus lointaines nous semblent ignorées des spécialistes eux-mêmes. Serait-ce un paradoxe de prétendre que la destinée future de l’humanité dépendra dans une large mesure de notre science du témoignage et de notre habileté à l’interpréter pour en tirer avantage ? Si nous arrivons à le mieux connaître, nous pourrons le filtrer plus savamment afin d’en rejeter l’erreur et d’en garder toute la vérité. Chacun sait qu’il est impossible au témoin de relater ce qu’il a fait et vu en restant strictement objectif. Il est homme et il est artiste, plus ou moins ; la fidélité mécanique du cinématographe lui est donc interdite. En outre, à la guerre le témoin est soumis à des émotions d’une force exceptionnelle au moment même où se passent les faits les plus intéressants à noter et plus tard à raconter. Parfois le témoin se fie à sa mémoire pour préserver les faits et ne prend la plume que plusieurs mois ou plusieurs années après les événements. Or les infirmités de la mémoire ont été le sujet d’expériences concluantes; elles sont bien connues des psychologues. Le témoin oublie, mais s’il se contentait de perdre la trace des faits il n’y aurait que demi-mal. En réalité sa mémoire le dupe : elle recrée à mesure ce qu’efface l’oubli et cette création n’est jamais conforme à la réalité primitive. Elle est inspirée par des notions longuement entretenues dans l’esprit, en l’espèce par l’image traditionnelle et légendaire de la guerre. Cela explique comment ce témoin pourra raconter, en toute bonne foi, qu’il a vu et accompli des choses conformes à la guerre selon les livres, mais en contradiction avec son expérience de combattant. D’autres fois le témoin a un carnet où il inscrit jour par jour, et même plusieurs fois par jour, ce qu’il vient de voir, de faire, de sentir. Lorsqu’il rédigera plus tard, ses notes lui fourniront assez de points de repère pour empêcher toute erreur majeure, toute déformation d’ensemble. On comprend pourquoi la critique de Témoins insiste sur la valeur documentaire de la déposition des poilus à carnets; cette valeur s’impose d’ailleurs avant même qu’on ne se rende compte du moyen qui a permis de préserver la spontanéité des impressions.
Jean Norton Cru
Du témoignage
19:45 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
on en a même vu se souvenant traverser l'Europe nazie avec des loups quand elles n'était que modeste écolière en Belgique.
Écrit par : Paul-Emic | 05/02/2009
En autres...
Écrit par : Pharamond | 06/02/2009
Et des flics oubliant leur cours de droit sur la présomption d'innocence.
Écrit par : Ben | 08/02/2009
Les flics sont aux ordres et quand les ordres déraillent...
Écrit par : Pharamond | 09/02/2009
Les commentaires sont fermés.