La « déprésidence » : Sarkozy est-il apte à gouverner ? Les preuves de l’inadaptation de M. Sarkozy à sa fonction se multiplient et nous laissent pantois, partagés entre révolte et effarement. La politique de droite qu’il entend mener n’est pas en cause. Sont inacceptables la manière dont le Président se comporte et son atteinte au socle des valeurs républicaines et constitutionnalisées. Il est aujourd’hui tangible, que dans ces deux domaines au moins il n’a pas intégré ses fonctions présidentielle et constitutionnelle. Le Président de la République ne se comporte pas comme un Président. Il apparaît comme un homme vulgaire, grossier et méprisant. Il ne s’agit pas d’un homme simple qui se comporterait comme tout le monde – si tant est qu’un Président puisse se conduire comme tout le monde [1]– mais d’un homme qui se laisse aller aux plus triviales inclinations. Vulgarité regrettable des goûts, vulgarité provocatrice du comportement, vulgarité inacceptable du langage. Ses goûts de luxe sont ceux des « m’ as-tu vu »… Rolex, « people », yacht, etc. Son comportement est celui d’un mal élevé… quémander un stylo au Président roumain, tutoyer tout le monde, commettre des maladresses diplomatiques [2], etc. Son langage est celui d’un « grossier personnage »… « Hé ! Angela ! », « Ben, descend un peu le dire », « Casse toi pauvre con ! », etc. Or il a une fonction de représentation de l’Etat, la lecture des médias étrangers atterrés ou railleurs nous en persuade. L’argument selon lequel, il se comporterait en cela comme « n’importe qui » est peut-être le pire de ce que ses thuriféraires prétendent. Sauf à être un malotru, un homme ordinaire dans ses relations publiques ne tutoie pas des inconnus, n’insulte pas les gens et ne nargue pas avec des objets de luxe ceux qui n’ont rien, ou si peu. Le souci qu’il aurait des gens, ces Français dont il a pourtant la responsabilité, n’est visiblement qu’affichage [3], le mépris qu’il en a est au contraire constatable. Plus fondamentalement, le Président de la République ne respecte pas les limites constitutionnelles de sa fonction et porte ainsi atteinte à l’état de droit et à la République. Il ne s’agit pas d’un Président ayant choisi de « bouger les lignes » – si tant est qu’il ait été élu pour cela – mais d’un Président qui méprise le texte fondamental qui pourtant détermine sa fonction et ses limites. Mépris inadmissible de l’étendue de sa fonction, mépris intolérable des valeurs républicaines, mépris alarmant du texte constitutionnel. Sa fonction est traditionnellement de donner les grandes orientations politiques et non de tout réglementer et, contrairement à ses affirmations, 53% de français l’ont élu Président de la République et non chef de l’Etat, du gouvernement et de chaque ministère ; ils n’ont pas, par leur bulletin, donné mandat à ce candidat d’ignorer le principe de la séparation des pouvoirs. Son rôle est d’incarner les valeurs républicaines et non de les remettre en cause. Le principe de laïcité est inscrit à l’article premier de la Constitution, il appartient au Président de la République de défendre ce principe. Or il y porte atteinte [4], il n’a ni mandat ni pouvoir pour cela (sans parler de l’inconséquence qu’il y a à toucher à ce principe de paix sociale) ! Il est enfin, selon l’article 5 de la Constitution, le garant des institutions. Mais, outre le fait déjà souligné qu’il gouverne au mépris des articles 20 et 21, il essaie de contourner (donc de méconnaître) l’article 62 de la même Constitution selon lequel les décisions du Conseil constitutionnel s’impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles. En résumé, le Président actuel transgresse ce qu’il a la charge de garantir [5] ! Nicolas Sarkozy, malgré sa position de plus haut représentant de la République, porte ainsi atteinte à la fonction présidentielle. Sa majorité devrait le dire plutôt que de défendre ces comportements éhontés ; elle ne se rend pas service et cause du tort à la France (certains de ses ministres, pourtant visiblement compétents, avalent les couleuvres et se rendent chaque jour complices de la dérive). Que cet homme n’ait pas l’étoffe d’un Président est un fait aujourd’hui acquis y compris pour ses partenaires politiques. Ils s’honoreraient, en un geste civique, en le constatant, comme le fait l’opinion publique, plutôt que d’invoquer un acharnement de l’opposition. Ce n’est pas l’opposition mais le Président qui insulte un citoyen (dont il est le représentant), ce n’est pas l’opposition qui affirme que chaque homme croit en Dieu (ce qui est faux au demeurant) alors qu’il est le Président laïc de la France, tenu en ce domaine à une abstention publique, seule garante du respect des convictions religieuses ou athées des français (dont il est le représentant) ; ce n’est pas l’opposition qui a décidé de multiplier ses indemnités par trois alors que le pouvoir d’achat de la plupart des citoyens (dont il est le représentant) baisse… Et ce n’est pas l’opposition mais chaque citoyen (dont il est le représentant) qui peut compléter cette liste par bien d’autres comportements révoltants, du symbole du Fouquet’s à celui de la morgue à l’encontre de M’sieur (sic) Joffrin (alors que c’est lui qui se méprenait sur le sens de la monarchie élective, la confondant avec l’héréditaire…). Pour tenter de pallier son incurie, il fanfaronne [6], il lance des propositions irréfléchies ; pour n’en retenir qu’un exemple atterrant et significatif, il décide sans aucune concertation que chaque enfant de onze ans devra porter la mémoire d’un enfant juif déporté…. Les citoyens qu’il représente sont interloqués par cette « ânerie morbide » dénoncée par les pédagogues et les psychologues, par la plupart des victimes du génocide et par toute personne de bon sens (en serait-il dépourvu ?). L’acceptation de la démocratie repose certes sur la possibilité de l’alternance au pouvoir mais elle suppose aussi, on l’oublie parfois, un socle de valeurs communes sur lesquelles il y a un consensus social et donc auxquelles « on ne touche pas » ; c’est à dire des principes sur lesquels les politiques de droite ou de gauche s’entendent (lorsqu’ils sont en danger, on vote à 82% pour les défendre comme en 2002). Le Président actuel les ignore et le malaise que chacun ressent aujourd’hui vient en partie de cette « capacité » du Président de la République à n’avoir aucun principe comme si ceux-ci n’étaient que des règles désuètes et n’avaient aucune raison d’être, aucun ancrage social. Il a tort : la présomption d’innocence, la non rétroactivité de la loi pénale, la laïcité, la séparation des pouvoirs, le respect du droit, etc. sont des principes essentiels qui fondent la cohésion sociale, des principes de civilisation. Un éventuelle politique de civilisation (qui dépasserait le stade du marketing politique) ne consiste pas à les mépriser mais au contraire à les faire valoir. Son irrespect de ces principes comme des personnes, sauf quelques émotions « de comptoir », caractérise, hélas, avec la dilution du politique dans une confusion d’éléments hétéroclites et douteux [7] , l’actuelle déprésidence. Notes [1] « Être président de la République, c’est l’oubli de soi et, sans doute, la mise entre parenthèses de son bonheur personnel, de ses sentiments, de ses intérêts. C’est ne plus avoir en tête que le bonheur des Français » (N.S.) [2] « On va vous l’envoyer. Il lui faut de l’autorité » (26/11/07). Phrase adressée par NS au Président Chinois en guise de présentation de son fils ! Sympathique pour le fils et pour le Président Chinois qu’il qualifie ainsi d’autoritaire (dénonciation sans doute involontaire et en tout cas maladroite du régime chinois). [3] Les vacances aux Etats-Unis ont été estimées à 44000 euros pour la seule location de la villa de 1000m2, soit plus de trois ans de SMIC. Il s’est défendu en soulignant que ça lui était offert. C’est pire ! Non seulement, il est redevable aux industriels concernés mais surtout, il accepte qu’on lui offre des vacances. N’importe quelle personne bien élevée tient à payer sa part ! Il en a les moyens mais il manque de la plus élémentaire correction. [4] « Les religions sont un plus pour la République." (NS) « Un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’homme et de femmes qui espèrent. [...] Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » (NS, St-Jean de Latran, 20/12/07). « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect ».(NS, Riyad, 14/01/08). Paroles publiques d’un Président de la République française ! [5] Comportement qui pourrait constituer ce que l’article 68 de la Constitution qualifie de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » et qui autorise la mise en œuvre de la procédure de destitution du Président. [6] A propos des Français inculpés dans l’affaire Arche de Zoé, il affirme contre leur intérêt même « j’irai chercher ceux qui restent, quoi qu’ils aient fait »… « Quoi qu’ils aient fait » ! L’expression est scandaleuse, il suffit d’imaginer que le Président Tchadien dise, dans une situation inverse, la même chose. Ou encore : « La croissance, je ne l’attendrai pas, j’irai la chercher » (sans commentaire) ! [7] Confusion entre les sentiments et la raison, entre les choix politiques et les volontés industrielles, entre la dimension présidentielle et la starisation, entre le service de l’Etat et l’argent roi... André Moine, Maître de conférences en droit public à l’université Nancy 2 |