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22/04/2020

Historiettes, contes et vaticinations (9)

Une petite histoire déjà mise en ligne sur ce blog le 29/01/2006 :

 

Le projet

 

Le nouveau roi était un bon roi ; il n’aimait pas la guerre. Il se mit à chercher comment l’éviter à son peuple pour toujours et après avoir longuement réfléchit au problème, il trouva enfin la solution. Il était si heureux de sa découverte qu’il fit convoquer ses ministres dans l’heure et leur dit :

- J’ai enfin trouvé le moyen d'apporter le bonheur à mon peuple ; il suffit de lui assurer la paix et pour cela de ne plus avoir d’ennemis. Comment faire, me demanderez-vous ? Rien n’est plus aisé, mes prédécesseurs ont toujours cru que l’ennemi nous obligeait à posséder des remparts, alors que c’est exactement le contraire, ce sont les remparts qui créent l’ennemi. Donc, dès demain nous allons entreprendre la démolition de toutes nos fortifications et dissoudre l'armée.

L’assemblée resta silencieuse un instant, abasourdie, puis un ministre se mit à applaudir, puis un autre et un autre encore. Bientôt la grande salle du Conseil résonnait des applaudissements et des vivats de tous les ministres. Tous ? Non, au fond de la salle, un vieux ministre attendait la fin des acclamations pour donner son avis.

Quand le calme revint, il leva la main pour demander la parole.

Le Roi le vit :

- Monsieur le Ministre de la Guerre, je crois deviner la liste des arguments que vous allez nous soumettre afin que je ne mette pas mon projet à exécution, et surtout vous vous demandez ce que vous allez devenir sans guerre, n’est-ce pas ?

Le Ministre de la Guerre essaya de se faire entendre malgré les rires moqueurs :

- Votre Altesse, je crois que...

- Monsieur le Ministre, vous m’avez toujours servi avec fidélité et compétence et en récompense de vos bons et loyaux services je vous nomme Ministre de la Paix, reste à vous d’en faire quelque chose d’efficace avec le même zèle que vous mettiez jadis à faire la guerre.

Les paroles étaient presque insultantes et les ricanements allèrent de plus belle. Le ministre ne releva pas et essaya de nouveau de se faire entendre :

- Votre Altesse, il ne s’agit pas de cela mais...

Le Roi ne le laissa pas finir :

- Messieurs, je vous remercie.

Le Grand chambellan s’avança et frappa le sol de sa lourde canne pour signifier que la séance était levée. Dans les couloirs, le ministre de la Guerre reçu quelques tapes qui se voulaient amicales et beaucoup de regards ironiques. "Ainsi vont les choses, pensa-t-il, hier encore, on n’osait faire quoi que se soit sans demander mon avis, et aujourd’hui, je suis sujet à la moquerie et à la pitié."

Les travaux allèrent bon train bien que le peuple, qui pourtant haïssait la guerre, mit quelque temps à accepter de voir ses murailles s’abattre une à une. Mais bientôt, pris dans l’euphorie, il s’enthousiasma plus encore que les Grands du Royaume. Les militaires démobilisés furent mis à contribution et firent preuve d'autant de conscience à détruire leurs forteresses que s'il s'agissait de bastions ennemis. À travers le pays ce n'était que festivités et farandoles autour des décombres de l'ancien monde.

L'ex-ministre de la Guerre tenta plusieurs fois d’approcher le Roi pour lui faire part de ses inquiétudes, mais il se fit à chaque fois éconduire sous quelque prétexte et les lettres qu'il lui envoya ne reçurent nulle réponse. Il refusa sa nouvelle charge et finit par se retirer dans son domaine campagnard. Il y continuait, bien sûr, entre promenades et lecture, à se tenir au courant du déroulement du projet royal. Les villes n’avaient plus de remparts, les forteresses avaient été démantelées et les armées dissoutes. Et plus incroyable, les pays voisins commençaient à être pris de la même frénésie. Les petits royaumes du nord, ceux de l’est, les myriades de principautés, tous s’y mirent. Il ne restait que l’empire situé le plus à l’est, à la lisière de la civilisation, face aux steppes. Il tint quelques temps, mais sous la pression des autres nations, de ses diplomates ostracisés, de ses banquiers inquiets et de ses commerçants affaiblis par le boycott de leurs marchandises, il y vint aussi. Et comme très souvent dans ces cas-là, ceux qui prennent du retard finissent par se montrer les plus zélés pour faire oublier leurs réticences passées.

Un jour pourtant, l’ex-ministre de la Guerre reçu une invitation pour assister à des festivités à la cour. Peut-être, le Roi avait-il finit par lui pardonner ou plus vraisemblablement s’agit-il d’une erreur ou d’un coup de pouce d’un ami influant resté fidèle ? Peu importait, il n’irait pas s’humilier chez ses ingrats. Il allait jeter la missive dans l'âtre de la cheminée quand il se ravisa, il irait. Une dernière fois, il essayerait de faire son devoir qui était de protéger le Royaume et les sujets de Sa Majesté.

Le jour venu, alors que les réjouissances battaient leur plein au Palais royal, il s’approcha du Roi pour lui parler. Sur son passage, les courtisans s'écartaient comme s'il s'agissait d'un malade contagieux ou d'un spectre. Bien peu le saluèrent.

- Votre Altesse.

- Oui ?

Le Roi se retourna, et en voyant son ex-ministre de la Guerre, il eu un mouvement de surprise contrarié :

- Vous ici ?

- J’ai une invitation, Votre Altesse.

- Je n’en doute pas, vous n’êtes pas homme à frauder. Que voulez-vous ?

- Une dernière fois je supplie Votre Altesse, maintenant que nos places fortes n’existent plus, de reconstituer une armée afin de défendre le Royaume en cas de conflit.

Le Roi soupira et regarda son ancien ministre, mi-irrité mi-amusé, comme un père indulgent regarde un fils un peu têtu.

- Monsieur, vous n’avez donc pas encore compris. Êtes-vous à ce point aveuglé pour ne pas voir l'évidence ? Regardez autour de vous, tout le monde se réjouit car les temps ont changé. Dorénavant, il n’y aura plus de guerres. Et vous savez pourquoi ? Parce que tout le monde aime la paix, l’a toujours aimée. C’est aussi simple que cela.

- De grâce, Votre Altesse, juste quelques bataillons. Qu'est-ce que cela peut bien changer au déroulement des événements actuels ?

- Mais tout, voyons. Mon projet n'est cohérent qu'unanimement accepté et respecté, concéder la plus petite compromission serait croire à son échec éventuel et le provoquerait par là même, j'en suis persuader. Maintenant, laissez-moi et allez vous amuser...

Il voulu rajouter "si vous en êtes capable", mais se retint.

Des mois passèrent et l’ex-ministre finit par douter du bien fondée de son obstination. Et si, finalement, le Roi avait raison ? Et si l’Homme n’était pas cette créature dont il fallait toujours se méfier ? Et si sa destinée était de vivre heureux dans la paix ? Peut-être toutes ces années de guerre lui l’avaient-elles donné une vision erronée et négative de l’humanité, en vint-il à penser. Pourtant quelque chose en lui restait à l'affût, une sourde angoisse le réveillait la nuit.

Les premières nouvelles arrivèrent au printemps de l’année suivante. Ceux des steppes avaient attaqué l’empire qui leur était frontalier. À chaque nouvelle dépêche, on apprenait que les envahisseurs s’étaient enfoncés encore plus loin dans l’empire. Bientôt, on apprit que sa capitale était tombée. Puis se fût le tour des royaumes du centre. Il succombèrent les uns après les autres. Les rescapés rapportaient d’épouvantables histoires de massacres et de déportations. Pendant que les hordes saccageaient les états du nord et s’approchaient à la vitesse de leurs chevaux des frontières du Royaume, le Roi envoya un courrier à son ex-ministre de la Guerre en lui ordonnant de former une armée de toute urgence pour défendre le pays dans le cas où ses émissaires n’arrivaient pas à convaincre "Ceux des steppes" de faire la paix. Les émissaires ne revinrent pas de leur mission. Et quand l’ennemi franchit la frontière, le chef des armées rétabli dans ses fonctions ne put leur opposer que de maigres levées mal entraînées et démoralisées. Au premier choc, la plupart se débandèrent. Ceux qui résistèrent se firent massacrer, le ministre de la Guerre en fit partie.

Bientôt toute résistance cessa. Le Roi avait été fait prisonnier lors de l’assaut de la capitale. Chargé de chaînes, il comparut devant son vainqueur afin que celui-ci décida de son sort.

- Peu m’importe le destin que vous me réservez puisque plus rien n'a désormais d'importance pour moi, mais je voudrais seulement comprendre : pourquoi ?

Le Maître des steppes et aujourd'hui souverain de la presque totalité des terres connues parut surpris par l’incongruité de la question, mais il daigna tout de même répondre :

- Pourquoi l'aigle s'abat-il sur le lièvre ?

 

Commentaires

Beau comme l'antique. Variante : "Pourquoi pas ?".
On finirait par croire que l'existence du mouton suscite celle du loup. ;-)

Écrit par : Blumroch | 22/04/2020

Blumroch > Merci, c'est trop ;-)

Le sens de cette histoire n'est pas "pourquoi pas ?", mais plutôt "l'existence du mouton suscite celle du loup."

Écrit par : Pharamond | 22/04/2020

@Pharamond : La véritable sagesse consisterait à ne répondre à *aucune* question, et pas seulement face aux inquisiteurs journalopes. La force n'a pas besoin du discours, la nature non plus.
A défaut, la vieille sagesse (talmudique ou non) recommande de toujours répondre à une question par une autre question. A "Pourquoi ?", "Pourquoi pas ?" s'impose, qui signifie, au choix : "Parce que j'en ai les moyens.", "Parce que je le veux bien.", "Pourquoi voulez-vous le savoir ?" ou même le célèbre "J'assume." ;-)
Faut quand même admettre que la question, de la part du roi, est idiote. Il n'a même pas l'excuse de vouloir détruire l'adversaire :
https://www.youtube.com/watch?v=ljGH07Unfe8

Écrit par : Blumroch | 22/04/2020

L'histoire est en forme de conte avec les naïvetés et la morale inhérentes. Les deux hommes sont aussi surpris, le roi parce qu'il ne peut comprendre la situation avec son idéologie et le maître des steppes parce que la réponse est plus qu'évidente.

Écrit par : Pharamond | 22/04/2020

@Pharamond : Même dans un conte, le roi pourrait faire preuve d'intelligence : on ne demande pas ses "raisons" à une catastrophe naturelle, surtout quand on a été assez kron pour ne pas se garantir contre elle et pour la provoquer. Mais bon, "n'allons pas polémiquer" comme disent les bons journaux. ;-)
La seule réponse, et pascalienne, et incontestable, et universelle, c'est celle que le brochet administre à Arthur dans *The Once and Future King* : "Might is Right".
C'est d'ailleurs ce qui permet à Foutriquet 2.0 le Naufrageur de poursuivre le plan de ses maîtres grâce à ses milichiens très forts avec les faibles locaux et très faibles avec les forts importés.
But that's another story...
Aucun rapport, sinon avec la vidéo mentionnée *supra*, mais l'étrange impression d'un pays au point mort :
https://www.youtube.com/watch?v=rU8BoBT-Q1c

Écrit par : Blumroch | 22/04/2020

Ce devrait être un musicalmar, mais McGoohan avait aussi prévu les conséquences de la dissidence :
https://www.youtube.com/watch?v=h5A15MtGtFE
S'ils revenaient un jour, les Gilets jaunes devraient adopter, comme signe de reconnaissance, le badge du numéro 6. Ce serait plus intelligent que le masque de *V pour Vendetta*.

Écrit par : Blumroch | 22/04/2020

Blumroch > Nulle polémique, il s'agit juste d'éclaircissements. Le roi est un bobo il a sa logique qui fonctionne tant que le contexte est favorable et dès que la réalité entre en conflit avec elle il ne comprend plus, il est sincère dans ses délires. Le maître des steppes est effectivement un "événement" naturelle comme l'ouragan qui se forme quand les conditions s'y prêtent ou... l'aigle qui chasse le lièvre parce qu'il constitue une de ses proies. C'est le conflit de deux logiques, une idéologique et contre-nature et l'autre violente et naturelle.

Oui, nous vivons dans un grand village de fous que ne renient pas les mondialistes avec leur village global. N°6 n'est pas un leader juste un non-conformiste individualiste , il ne peut y avoir qu'un n°6.

Écrit par : Pharamond | 22/04/2020

@Pharamond : Comme "Musique" n'est plus dans la liste des billets récents, un autre musicalmar *déplacé* : depuis quelques jours, de manière aléatoire, l'accès au site se traduit par une page fort sobre affichant ce laconique message "503 service unavailable". Souci de maitenance, ou installation des dérivations vers les services de m'dame Aviassion avec l'ajout du bouton "Je m'indigne et je délationne" ? ;-)

Écrit par : Blumroch | 22/04/2020

J' ai eu aussi le "503" ... mais le miracle se reproduit ! ;-)

Ce conte fait ma joie ! j' attend un lien en marge qui regrouperait vos Contes et Nouvelles quand tous auront été publiés ...

Écrit par : EQUALIZER | 22/04/2020

Blumroch > Oui, j'y ai eu droit aussi.

EQUALIZER > Je suis ravi qu'il vous plaise.

Écrit par : Pharamond | 22/04/2020

C'est Julien Freund qui a dit
"Écoutez, Monsieur Hippolyte, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes.

Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes.

Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin."

Écrit par : Philippe Dubois | 22/04/2020

Philippe Dubois > Oui, c'est tout à fait cela, et j'ajouterais que la vulnérabilité attire les prédateurs.

Écrit par : Pharamond | 23/04/2020

Les commentaires sont fermés.