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21/11/2014

Le jour où je suis mort

On m’a affecté à la défense du centre ville. Pourquoi pas ? Je ne suis qu’à 500 mètres de chez moi et cela me permet d’y aller de temps à autre pour voir si mon immeuble tient toujours debout et si personne aurait eu l’idée de "visiter" mon appartement. Avec deux compagnons je campe depuis une quinzaine de jours dans un ancien snack-bar près de ce qui est censé être la ligne de front. C’est ma première affectation.

Quand on est venu me chercher, une vingtaine de jours après le début des Événements, je me suis laissé faire. Avais-je le choix de toute façon ? Et puis sans eau ni électricité le temps commençait à me paraître long, je crois aussi que je déprimais un peu. Trois mois après, dont un dans un camp d’entraînement à la campagne avec maniement d’armes légères, marches, manœuvres, rudiments de tactiques militaires et propagande (déjà !) et deux dans un hôpital militaire pour une entorse mal soignée faite lors d’un exercice, j’ai insisté, au moment de choisir mon unité, pour intégrer celle des Royalistes. Au yeux des autres nationalistes, ils faisaient figure d’originaux, leur dénomination officielle n’était-elle pas "La Grande Armée Catholique et Royale" en souvenir de la Guerre de Vendée ? Mais c’était sans importance puisqu’on avait besoin de tout le monde et qu’ils se battaient sans rechigner.

Les deux combattants qui tiennent la position avec moi (c’est pour l’instant plutôt facile puisqu’on ne nous a pas encore attaqué) sont très fréquentables. Éric, un ancien gendarme, est le plus vieux, il a le grade de sergent et commande. L’autre, Jean-Baptiste dit Jeb, plus jeune que moi, est étudiant en Histoire. Sur le bras gauche de nos vestes sont cousus un drapeau tricolore et un Sacré Cœur. On dispose d’un poste émetteur-récepteur, de quelques semaines de vivres, de nos fusils d’assaut et d’une petite réserve de munitions, pas de quoi tenir un siège. Voilà c’est à peu près tout.

Et puis on attend, si on voit quelque chose de suspect on transmet au Quartier Général. Le problème c’est que tout parait suspect et que rien ne l’est vraiment. Pour l’instant on ne voit que des civils (nous ne le sommes déjà plus ?!) passaient sur l’avenue qui sert de ligne de démarcation. Tant qu’ils n’ont pas de comportements hostiles on ne fait rien. Ils ont seulement l’air inquiet et cherchent de quoi continuer à vivre à peu près normalement avec leur famille. Parfois, ils viennent nous voir et nous demandent si on sait quelque chose sur ce qui se passe. On a ordre de ne rien dire et on s’y tient d’autant plus facilement qu’on n’en sait pas plus qu’eux. Mais on prend des airs mystérieux et on lâche des « désolé, pas le droit de dire quoi que se soit .»

Au départ, quand un civil s’approchait, on faisait scrupuleusement les sommations d’usage. Trois jours après, une fouille rapide suffit. C’est incroyable comme la routine (et son relâchement inhérent) s’installe vite. Mes compagnons, notre "poste de garde" (le Poste avancé n° 17), la portion d’avenue que l’on distingue derrière l’empilement hétéroclite qui obstrue les ouvertures constituent notre univers. Avec l’habitude il est devenu rassurant et je crois que cela nous aurait coûté de le quitter pour aller ailleurs.

Pour l’instant, le conflit se limite pour nous à des tirs sporadiques, à quelques rares explosions à grande distance de notre position et à une rafale contre notre façade (sans qu’on puisse réagir d’ailleurs, les "attaquants" étant à moto). On entend, mais on ne voit rien. L’avenue est d’autant plus calme qu’elle est interdite aux véhicules par des barrages constitués de containers aux deux extrémités. Nos patrouilles quotidiennes dans notre secteur (on ne franchit pas l’avenue) ne nous apprennent rien d’autre.

Confusément, on espère que les choses changent pour sortir de ce quotidien amollissant, entre nous on se dit même espérer une attaque pour nous défouler, tout en s'avouant que l’on n’est  pas si mal et que les choses ne peuvent que se modifier en pire. Avec de la chance peut-être la « guerre » (on a un peu de mal à l’appeler ainsi, comme si cette dénomination aggrave la situation) finirait sans qu’il y ai trop de casse.

- Nous sommes le 15 août, dit Jeb comme pour lui-même, tout en griffonnant sur le carnet qu’il appelle très sérieusement son Journal de guerre.

Éric et lui sont croyants, puisque je ne le suis pas, au départ ils s’étaient demandés pourquoi j’avais choisi d’intégrer la G.A.C.R. Je n’avais pas répondu à leurs interrogations et ils n’avaient pas insisté, mais je pense qu’ils se posent toujours la question. Peut-être qu’en me mentionnant le jour Jeb espère-t-il me voir prier avec eux. Peine perdue.

Éric ne dit rien, il semble inquiet et scrute l’avenue. Hier, les tirs s’étaient rapprochés et intensifiés. Interrogé, le QG avait parlé d’une offensive ennemie mais nous avait assuré qu’elle ne concernait pas notre secteur et qu’elle ne tarderait pas à être endiguée comme les précédentes. Pourtant tout est étrangement calme depuis ce matin. On n’entend que le chants des oiseaux, aucun civil ne s’est montrés depuis le levé du jour.

- Viens voir. Je crois qu’il se passe quelque chose.

Je m’approche d’Éric. Et regarde dans la même direction que lui. Je ne vois rien.

- Si, regarde au-dessus de la boulangerie. La deuxième fenêtre en partant de la droite.

- Merde ! T’as raison, il y a un mec avec une arme. C’est peut-être un des nôtres ?

- De l’autre coté de la ligne, sans qu’on soit prévenu, c’est impossible. Jeb, préviens le QG.

Jeb s’arrache à l’écriture de son journal et s’exécute.

- Ils nous disent de riposter seulement si on nous tire dessus et de les tenir au courant.

- Rien d’autre ? demande Éric.

- Non.

- Merci pour tout, ironisé-je.

Maintenant on est trois à regarder dehors. On scrute à s’en faire mal au yeux et à la longue tout semble se mettre à bouger, tout devient hostile. Et puis soudain on aperçoit des gens armés qui passent d’un bâtiment à l’autre courbés en deux. Jeb transmet à nouveau, mais on doit attendre : "pas de provocation". Mince, moi qui croyait être en guerre ! Alors, on attend. On a tous vérifié notre arme. Éric et moi près des minces ouvertures qui donnent sur l’avenue et Jeb au poste radio. Et puis c’est un bruit qui enfle, un grondement qui se rapproche faisant vibrer le bâtiment. Je regarde Éric. Il est blême et murmure entre les dents :

- Merde, je crois bien qu’on nous envoie les chars.

- Mais on a pas d’arme contre ça, dis-je stupidement.

- Jeb ! dis-leur qu’on a des chars en face.

Jusque là l’Armée française avait officiellement gardé une certaine neutralité en ne fournissant aucune arme lourde aux belligérants, il fallait se rendre à l’évidence : les choses avaient changé.

- Je capte rien, dit Jeb d’une voix blanche.

- Essaie encore. Si on a encore rien, on se replie.

Le char vient d’apparaître dans mon champ de vision, sur ses flancs et sa tourelle il y a des choses inscrites à la peinture verte, mais je n’arrive pas déchiffrer à cette distante. Il s’arrête et son canon pivote vers nous.

- Foutons le camp !

Je crois que c’est moi qui a crié, et puis tout s’écroule autour de nous. Je suis sur le sol, je n’entends plus rien, j’essaie de me relever, mais ma jambe gauche se dérobe, j’ai du sang partout. Je tousse, la poussière me rentre dans la bouche, dans les poumons. Où sont Éric et Jeb ? Tout est sans dessus dessous et j’ai l’impression que le plafond est plus bas, comme si le bâtiment s’était affaissé.

On me prend par les aisselles et on me tire dehors par la porte de derrière. Dans la rue, Jeb, c’est lui qui m’a sorti de là, passe mon bras au-dessus de ses épaules et m’aide à me mettre debout. Il est couvert de poussière, mais ne semble pas en trop mauvais état. Les sons me parviennent déformés, lointains et ma jambe refuse toujours d’obéir, par contre je ne souffre pas, pas encore. Par les petites rues on arrive à s’éloigner tant bien que mal de notre poste. Personne n’a l’air de nous poursuivre.

Jeb est exténué. Il m’aide à m’asseoir, adossé à un mur.

- Je vais chercher de l’aide.

Il doit voir la panique dans mes yeux, car il rajoute aussitôt :

- Je reviens, fais-moi confiance. Je reviens.

Il s’éloigne et avant de tourner dans la rue voisine me fait un signe de la main. Je n’ai pas la force de lui répondre. Je n’arrive pas à parler, mais j’entends de mieux en mieux et je crois comprendre que le char ou les chars font des cartons sans interruptions. Je me demande bien sur quoi d’ailleurs.

Je regarde pour la première fois ma jambe, ce n’est pas beau, il me manque un morceau de cuisse et j’ai perdu beaucoup de sang. Pourtant, je me sens étrangement léger. Les détonations semblent se rapprocher. Peut-être que des renforts amis sont arrivés. Je n’en sais rien, j’attends Jeb. Le plus infime mouvement me coûte. Et il y a ce bruit métallique qui me réveille, je m’étais endormi. C’est sur ma droite. Malgré la nausée, je fais un effort pour voir ce que c’est. Je la vois à un mètre de moi, dégoupillée.

 

Commentaires

ça démarrait comme "mes soldats de papier" de .....merde ,son nom m'échappe

Écrit par : kobus van cleef | 22/11/2014

Il ne s'agit pas de cet écrivain devenu dignitaire de l'Allemagne communiste et qui bien sûr n'a raconté que des vérités sur sa vie sous le IIIe Reich ?

Écrit par : Pharamond | 23/11/2014

ooto klemperer
non ,je pense pas
d'ailleurs, fils de chef d'orchestre il a fini dans la mouscaille la plus profonde
ses deux bouquins "je témoignerais jusqu'au bout" et "mes soldats de papier" ont eu une bonne reconnaissance à l'époque
à mon sens ,ils sont assez indigestes , mais on peut y retrouver les vexations quotidiennes d'un diplômé sans emploi de nos jours
genre pas discriminé positivement
c'est odieux ce que je dit là,mais pour connaître un peu ce côté des choses (oui ,j'ai des enfants des neveux , bref ,je m'étale pas ....) ça y ressemble quand même

Écrit par : kobus van cleef | 27/11/2014

Il me semble que vous faites erreur, l'écrivain c'est Victor, son cousin, qui finit notable en RDA. Ce qui me fait légèrement douter de ses propos.

Écrit par : Pharamond | 27/11/2014

vous avez sûrement raison
je me suis pas appesanti sur sa bibliographie en lisant le bouquin
indigeste , d'ailleurs,il m'est tombé des mains en cours de lecture
heureusement je l'avais pas acheté
pas volé non plus , qu'alliez vous penser !
juste emprunté et rendu à la munizipall bibliothèk ( en arabe littéraire mak thabba ) de mon bled

Écrit par : kobus van cleef | 29/11/2014

le deuxième passage, ça fait un peu "le désert des tartares" ....hé puis, on attend.....

Écrit par : kobus van cleef | 29/11/2014

A la différence du "désert des Tartares" (livre que j'adore, d'ailleurs) dans mon histoire l'ennemi arrive, malheureusement.

Écrit par : Pharamond | 30/11/2014

par construction ,l'ennemi finit toujours par arriver
pas celui qu'on attendait d'ailleurs....
l'ennemi peut différer de ce qu'on s'était imaginé
tiens, une histoire que racontait mon père à propos des evennements qui finissent par se produire
il s'agit d'une histoire sur les communistes ( ça,il maitrisait ,le bougre! pour en avoir été ,comme on dit,pas bougre mais cimmuniste)
"le communiste , tu vois ,fils,c'est le mec qui dès le matin huit heures, accoste les gens dans la rue ,place du colonnel fabien et dit "il est minuit" ,les gens rigolent, passent leur chemin, le mec se démonte pas, dès qu'il voit un passant ,il l'aborde ,le tire par la manche "il est minuit",les gens l'évitent,il reste seul à ratiocinner "il est minuit" , vient le soir ,tombe la nuit , et puis....il est minuit"

mignonne,non?

Écrit par : kobus van cleef | 03/12/2014

Mignonne et fine. Vous croyez que ça marche avec les réacs ?

Écrit par : Pharamond | 04/12/2014

pas franchement
mon père s'esclaffait toujours à la fin
ma mère, droite chrétienne de gauche, levait les yeux au ciel
ça explique pourquoi j'ai fait ma vie avec une gauche chrétienne de droite ( gauche car elle passe son temps à faire tomber des trucs , maladresse congénitale ....de droite , vous avez pigé pourquoi )

Écrit par : kobus van cleef | 05/12/2014

Vos enfants s'y retrouvent-ils dans cette ascendance zigzagante ;-)

Écrit par : Pharamond | 07/12/2014

hélas oui
aucun de gauche
ça aurait pimenté les dîners familiaux

Écrit par : kobus van cleef | 25/12/2014

à ce propos sur rue89 il y a un article "les dix sujets à éviter aux repas de fêtes de fin d'année"

comment ?
10 sujets seulement ?
et pas un de plus ?

Écrit par : kobus van cleef | 25/12/2014

L'heureux homme, c'est parfois appréciable de déjeuner en paix.


Je suis allé voir et vous avez raison : il en manque.

Écrit par : Pharamond | 25/12/2014

appréciable de déjeuner en paix....y a une chanson comme ça , je crois de stéfan echer ( approximatif )

Écrit par : kobus van cleef | 26/12/2014

Les commentaires sont fermés.