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07/04/2008

Le dialogue

Le dialogue est la chose du monde la plus nécessaire qui soit, il vaut mieux se rencontrer par la parole que d'en venir aux mains. Et l'expérience prouve qu'on peut plus difficilement haïr celui avec lequel on a commencé à parler. C'est pourquoi les régimes totalitaires recommandaient à leur troupes de choc de cogner avant toute explication, surtout quand il s'agissait de groupes religieux (on se souvient peut-être de Pardonne-moi, Natacha, confidence d'un ancien membre des brigades spéciales).

Mais le dialogue, c'est évident, n'est pas une fin. La fin, c'est la vérité. Et s'il est admis par avance qu'on ne cherche pas à déterminer où est la vérité, et qu'on s'interdit même par principe toute démarche pour poser la question, le dialogue va devenir une curieuse chose, un exercice par lequel chacun va montrer sa croyance, comme on montrerait sa collection de timbres, sans chercher à entraîner aucune adhésion. Quel homme religieux accepterait sérieusement de voir ce à quoi il croit plus que tout, à quoi il a donné sa vie ravalé au rang d'opinion, de particularité culturelle ou ethnologique ? Il a une confusion dramatique entre le respect, la tolérance, l'ouverture d'esprit, - conditions absolument indispensables de la rencontre vraie de l'autre - et l'abandon de toute prétention d'absolu, pour ne pas avoir l'air de croire que l'autre devrait se convertir. Je peux penser et même dire que l'islam est une fausse religion, tout en ayant un immense respect de mon frère musulman. Et j'accepte évidemment la réciproque.

Et si je ne pense pas que l'islam repose sur une erreur, je dois me demander pourquoi, moi, je ne le partage pas et je me dis, par exemple, chrétien. Est-ce simplement parce que j'ai été plongé dans le chaudron dès mon enfance (ce qui pour moi n'est d'ailleurs pas vraiment le cas), ou parce que je l'ai choisi ? Si je l'ai choisi, est-ce comme une option parmi d'autres ? Il est de bon ton de soutenir qu'il n'y a pas vraiment de rapport entre l'adhésion religieuse et le salut. Mais outre que cela va directement contre certaines paroles de l'Évangile (Marc 16,16 soigneusement tenu à l'écart des discussions), on aboutit ainsi à considérer que seule la morale commune à tous les hommes est le critère du salut éternel : l'homme de bien, quelque soit son appartenance religieuse sera sauvé, parce qu'il aura pratiqué la justice. Au moment où l'Église catholique rejoint les luthériens en signant un accord sur la " justification par la foi ", certains catholiques en arrivent à l'exact inverse : c'est la morale qui nous sauve ! Vive Pélage, qui tenait contre saint Augustin que l'adhésion au Christ n'était pas vraiment nécessaire au salut, si on avait les vertus naturelles !

On voit fleurir sur les murs de nombreuses aumôneries des affiches où l'on représente des croix, des croissants et des étoiles de David en train de se muer en colombes, avant de voler ensemble dans un bel azur limpide. Est-ce la religion de l'avenir qui est ainsi annoncée ?

La religion du dialogue, en réalité, n'intéresse personne, elle ne fera se lever si saint ni martyr. Tout homme vraiment religieux, en revanche, sait que sa croyance est liée à une exigence de vérité, il est convaincu qu'en s'engageant dans telle voie religieuse, il a engagé toute sa vie et son bonheur éternel. En ce sens, la position de beaucoup de catholiques aujourd'hui les éloigne du dialogue vrai avec les hommes religieux.

Les juifs ont des raisons de se méfier de ces gens qui prennent leurs distances par rapport à toute observance concrète, et qui prônent une religion tellement spirituelle qu'elle ne saurait encadrer la vie dans ce monde ni rendre témoignage à l'unicité divine. Les musulmans ne se retrouvent pas dans ces discours qui prêtent à Dieu des sentiments si humains qu'il n'est plus que le grand frère ou l'aïeul légèrement gâteux qui se désole de nos bêtises. Une prière sans mystique, une morale sans ascèse, une croyance sans contours nets, voilà l'image que nous donnons trop souvent et qui n'encourage guère le dialogue. On soupçonne non sans raison ce christianisme qui ne veut rien imposer de cacher ses vraies intentions, une forme plus raffinée d'impérialisme qui est d'amener toutes les religions à s'effacer devant le règne de la Raison, du Droit, et la promotion du bonheur terrestre. Bref le triomphe des Lumières.

Le seul remède raisonnable est l'apostolat. Là où des chrétiens osent partager humblement (car comment agir autrement ?) leurs convictions, ils retrouvent le goût de cette Vérité qui les dépassent et dont ils ont néanmoins reçu la charge. S'ils n'ont pas perdu l'espoir de convaincre, ni le zèle pour le salut de leurs frères en humanité, ils trouveront une manière bien plus directe et plus vraie de parler à ceux qui ont d'autres convictions qu'eux. L'intolérance ne se nourrit que du refus de partager son trésor, de la conviction qu'il n'y a rien à faire pour amener l'autre à découvrir le rayon de vérité qu'on a aperçu, et du sentiment qu'il est définitivement " autre ", étranger à ce qu'on porte. L'avenir du dialogue passe par la mission.

 

Père Michel Gitton

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