30/11/2011
Devenons "atévés"
«L’Eglise cathodique», nouvelle religion selon Régis Debray Et si les médias avaient remplacé la religion en tant que détenteur du pouvoir moral dans la société? C’est l’idée avancée par l’ancien compagnon d’armes du Che dans son dernier livre, «L’Emprise». Par Fernando Sartorius
«La justice dit le droit, le Parlement dit la loi, mais la presse dit le bien.» On pensait que, depuis le XIXe siècle, le pouvoir des prêtres avaient été remplacé par celui des scientifiques et des médecins. Apparemment, il n’en est rien. Pour Régis Debray, les nouveaux directeurs de conscience (et les nouveaux inquisiteurs) de la société contemporaine, ce sont les journalistes. Selon lui, en effet, la presse assume le «pouvoir spirituel» autrefois dévolu à l’Eglise. Les médias fonctionnent comme un clergé, proclamant les credos de l’époque, délivrant urbi et orbe blâmes et indulgences. Debray en sait quelque chose. On se souvient peut-être de la mésaventure qui lui est arrivée au printemps 1999, pendant la guerre du Kosovo. L’ancien compagnon d’armes du Che avait pris la défense des Serbes après un voyage de deux semaines dans la région du conflit. Dans une lettre ouverte au président Chirac, il avait émis des doutes sur le bien-fondé de l’intervention de l’OTAN. Les réactions ne s’étaient pas fait attendre. Dans les vingt-quatre heures, la presse hexagonale fondait sur lui, voyant dans sa démarche le combat d’arrière-garde d’un marxiste-léniniste non repenti. «Rouge-brun, crétin, populiste, négationniste, national n’importe-quoi, vichysso-stalinien, lepéniste, anti-américain», furent quelques-unes des douces épithètes dont on l’affubla. Comme ses réserves ont été depuis lors confirmées par des rapports officiels, Debray ne voit qu’une explication à ce lynchage médiatique. Il a été «excommunié» pour hérésie à l’encontre du dogme officiel, selon lequel les méchants, c’étaient les Serbes. Précisons tout de suite que Debray n’a pas écrit ce livre par esprit de revanche. L’ami de Jean Ziegler s’est toujours intéressé de près aux médias, au point d’avoir inventé une discipline qui leur est consacrée, la médiologie, qu’il enseigne aujourd’hui à l’université de Lyon. Cet épisode l’a toutefois amené à relever à un certain nombre d’analogies entre le pouvoir de l’Eglise autrefois et celui de le presse aujourd’hui, et à mettre en garde les journalistes contre la tentation de se prendre pour le bon Dieu. Petite liste non exhaustive. 1) Les médias prêchent la Croisade Ce fut évident pendant la guerre du Kosovo. La plupart des médias occidentaux ont soutenu la «croisade» de l’Occident contre les «infidèles» serbes, non plus au nom de la Croix mais «au nom de la Croix-Rouge» (le devoir d’ingérence humanitaire). Debray, en fait, ne critique pas l’humanitarisme en tant que tel, mais un certain manichéisme naïf qui pousse à choisir aveuglément le camp des «victimes», en ignorant la complexité de la situation. Quel journal, en effet, se préoccupe aujourd’hui des représailles albanaises contre la minorité serbe du Kosovo? 2) Les journalistes confessent les hommes politiques Au Moyen Age, on distinguait le pouvoir spirituel de l’Eglise et le pouvoir temporel du roi. Aujourd’hui, c’est la presse, écrite et audiovisuelle, qui détient le pouvoir spirituel face au pouvoir politique. Elle juge, commente, critique, condamne, confesse et absout. Elle peut sacrer les hommes politiques (en entretenant leur bonne image) ou les détrôner (en montant en épingle leurs peccadilles). Les journalistes sont d’autant plus disposés à jouer les inquisiteurs, qu’ils ont «le droit de juger sans être jugés». Les rectifications et les procès en diffamation perdus auront toujours moins d’impact que «l’autorité de la chose imprimée». 3) L’information est une religion Les médias expriment la croyance officielle de la société. Dans le passé, la croyance officielle était le christianisme. Aujourd’hui, c’est l’«opinion publique», c’est-à-dire les valeurs et les idéaux considérés comme acceptables par l’ensemble de la société à un moment donné. Or, l’opinion publique se constitue grâce à l’information, c’est-à-dire grâce aux faits que les médias choisissent de mettre en avant. D’où la dignité presque sacrée conférée au «devoir d’informer» et au «droit à l’information». 4) Regarder le TJ, c’est assister à la messe S’asseoir chaque soir devant son poste pour regarder Darius Rochebin ou PPDA réciter leur prompteur avec une componction ecclésiastique est un rituel qui permet à chacun de se sentir relié à la communauté de ses semblables. A l’origine, c’était le rôle de la messe (étymologiquement, en effet, religion veut dire relier.) Bref, «l’Eglise cathodique» a remplacé l’Eglise catholique. 5) La presse forme un clergé Les médias ont leurs villes saintes (New-York, Atlanta, patrie de CNN), leurs églises (les rédactions) unifiées par le même credo (l’information devenue de plus en plus uniforme), leurs prélats qui dînent avec les grands de ce monde (les rédacteurs en chef, les éditorialistes) et leurs curés de campagne relégués avec le bas peuple (les pigistes qui font les «chiens écrasés»). En France, les journalistes bénéficient d’abattements fiscaux qui rappellent les privilèges de l’Eglise sous l’ancien régime. Enfin, c’est la seule profession qui reconnaisse une «clause de conscience» à ses membres: si un journaliste estime que la «ligne» du journal s’éloigne de l’orthodoxie, il peut démissionner en demandant des indemnités. Régis Debray, L’Emprise, Gallimard |
Source LARGEUR.COM
16:45 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
La nouvelle religion, c'est la presse, ok.
Mais qui est derrière la presse ?
C'est bien d'avancer, de mettre à jour certaines choses mais il ne faut pas s'arrêter au milieu du raisonnement.
Écrit par : Jean-Pierre | 04/12/2011
J'ignore si Régis Debray était allé jusqu'au bout de son raisonnement les lois français, vous devez sans doute le savoir, nous interdit d'écrire ou de dire certaines choses.
Écrit par : Pharamond | 04/12/2011
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