Histoire... (72)

Cette confrontation des mœurs donne parfois lieu à des anecdotes cocasses. Ainsi, un chroniqueur arabe des croisades, Usama Ibn Munqidh, raconte, stupéfait, l'aventure arrivée à l'un de ses amis, propriétaires d'un établissement de bains, auquel un chevalier franc demanda de raser le pubis de sa femme. « Pensez un peu à cette contradiction ! Commente l'auteur musulman dubitatif. Ils [les Francs] n'ont aucune jalousie ni sens de l'honneur, et en même temps ils ont tant de courage ! Le courage ne provient pourtant que du sens de l'honneur et du mépris de ce qui est mal. » L'incompréhension est totale entre le chevalier franc et le musulman. Pour le premier, le sens de l'honneur s'attache à la bravoure, en dehors de toute considération de domination de la femme. En revanche, pour le second, l'honneur repose avant tout sur le contrôle du corps de la femme – dans le but de le préserver du regard et du désir des autres hommes. De cela dépendent toutes les autres vertus viriles, bravoure guerrière compris. Choc de deux identités totalement opposées par la perception du corps de la femme et de sa sexualité. Ce clivage pèse aujourd'hui plus lourd que jamais dans la tension entre Occident et islam. Ce que le l'un perçoit comme un signe culturel valorisant – la liberté de la femme et son émancipation – l'autre le voit comme avilissant.

Denis Bachelot

Extrait de l'article Le corps de la femme : un enjeu identitaire dans La Nouvelle Revue d'Histoire n°43