27/08/2006
La différence
La structure de la loyauté politique entre Arabes et entre musulmans a en général été l'opposé de celle qui prévaut dans l'Occident moderne. Pour ce dernier, l'État-nation est le parangon de la loyauté politique. Des loyautés plus restreintes lui sont subordonnées et sont subsumés dans la loyauté vis-à-vis de l'État-nation. Les groupes qui transcendent les l'États-nations - communautés linguistiques ou religieuses, ou civilisations - requièrent une loyauté et un engagement moins intenses. Le long du continuum qui va des entités les plus étroites au plus larges, les loyautés occidentales atteignent ainsi un sommet au milieu, la courbe d'intensité de la loyauté formant en quelque sorte un U renversé. Dans le monde islamique, la structure de la loyauté a été presque l'inverse. L'Islam connaît un creux au milieu de la hiérarchie de ses loyautés. Les "deux structures fondamentales, originales et durables", comme le notait Ira Lapidus, étaient la famille, le clan et la tribu d’une part, et “les unités formées par la culture, la religion et l’empire à plus grande échelle” de l’autre ».
[...]
Dans tout l'islam, le petit groupe et la grande foi, la tribu et la Oumma ont été les principaux foyers de loyauté et d'engagement. L'État-nation est bien moins important. Dans le monde arabe, les états existants rencontrent des problèmes de légitimité parce qu'ils sont pour la plupart les produits arbitraires, voire capricieux, de l'impérialisme occidental, et les frontières ne coïncident souvent même pas avec celles des groupes ethniques, comme c'est le cas chez les Berbères et les Kurdes. Ces états ont divisé la nation arabe, mais, d'un autre côté jamais un État panarabe n'a pu se matérialiser. En outre l'idée d'État-nation est incompatible avec la croyance en la souveraineté d'Allah et la primauté de la Oumma. En tant que mouvement révolutionnaire, le fondamentalisme islamiste rejette l'État-nation au profit de l'unité de l'islam, tout comme la marxisme le rejetait au profit de l'unité du prolétariat.
Samuel P. Huntington
Le Choc des civilisations
19:55 | Lien permanent | Commentaires (12)
Commentaires
L'histoire de la loyauté à l'Oumma est connue, celle des loyautés inversée moins.
L'extrait semble indiquer que les occidentaux auraient plus de loyauté envers leur nation qu'envers leur famille, n'est-ce pas un peu exagéré ?
En tout cas il faudra bien que je lise un jour le bouquin de Huntington !
Écrit par : Le Proton Jovial | 28/08/2006
En théorie, pourtant, la nation est une sorte de "super-famille" pour laquelle on doit pouvoir ( et devoir) aller donner sa vie en cas de conflit. Autre exemple, contrairement à d'autre civilisation, une personne condamnable par la loi du pays ne doit pas être protégé par sa famille. Bref, la société occidentale considère que les intérêts de la nation sont supérieure à ceux de la famille qu'ils sont censés englober et en être garant.
La lecture de Samuel Huntington est vivement conseillé, son livre "Le Choc des civilisations" est lumineux et nombre de ses détracteurs me semblent ne l'avoir même pas lu ou avoir été aveuglés par leur idéologie.
Écrit par : Pharamond | 28/08/2006
C'est sans doute pour ça que les européïstes bon teint soutenus discrètement par les USA voudraient diluer l'Etat-nation
Écrit par : Paul-Emic | 28/08/2006
(Au bûcher les Européistes bon teint !)
Parce que dans les pays occidentaux, la loyauté envers l'Etat-nation peut être considérée comme une chose naturelle ?
Il me semble qu'il a fallu pas mal batailler pour construire un espace politique plus ou moins débarrassé du poids des Eglises.
Pourquoi ce qui pendant longtemps a été une caractéristique occidentale, inhérente à notre histoire, revendiquée en tant que telle comme socle de la nation, deviendrait une chose détestable parce que cela concerne l'Islam ?
Je veux bien admettre qu'il est difficile de faire cohabiter deux populations aux religions différentes.
Mais si l'on veut discréditer une religion que ce soit avec des arguments de meilleure foi (sans jeu de mots)...
Écrit par : schleuder | 29/08/2006
Paul Emic : Je ne sais pas, les européistes ne sont pas tous musulmans :-)
Ils sont contre l'Etat nation pour une autre raison, l'utopie de l'abolition des frontières, du "tous frères dans le village planétaire", "allons où bon nous semble sans entrave"...
Schleuder :
- Ai-je dis que c'était une chose naturelle ?
- "Le poids des églises" comme tu le dis n'a pas grand chose à voir avec la formation des états-nations en europe.
- Qui a dit que c'était une chose détestable ? Le fait est que, aujourd'hui, les cultures diffèrent entre la chrétienté qui ne voit pas d'inconvénient aux état-nations et l'Islam qui ne peut l'admettre.
- Moi de même.
- Qui parle de discréditer une religion ? Samuel Huntington parle de différence fondamentale et je suis d'accord. Quant à l'Islam, je n'apprécie guère cette religion, j'ai lu le Coran et j'ai trouvé cela assez odieux par certains aspects. Personnellement, je suis agnostique et de culture chrétienne.
Écrit par : Pharamond | 29/08/2006
Je parle surtout de Huntington qui n'est pas (sauf erreur de ma part) en train de faire l'apologie de l'Islam. En le lisant, j'ai du mal à le lire comme une simple description objective, mais plus comme une charge... Mais je me trompe sûrement !
Quant à la chrétienté, je pense que si elle accepte les états nations, c'est bien plus parce que ces mêmes états nations l'ont un peu forcé non ? Pourquoi seraient-ils incapables de le faire avec l'Islam ?
J'y crois... (pas en dieu, je sais je prends des risques !!)
Écrit par : schleuder | 29/08/2006
Certes non, Samuel Huntington n'est pas pro-islam, mais les faits énoncés dans le texte que je cite sont tout de même objectifs.
La chrétienté l'a accepté parce qu'elle n'avait rien contre, depuis les évangiles, Dieu et César sont séparés.
L'Islam par contre est régi par un mode de pensée qui soumait la communauté musulmane entière, l'Oumma, à Allah, les allégeances aux gouvernants terrestres est secondaires.
Tu crois... euh... en quoi ? Je n'ai pas compris.
Écrit par : Pharamond | 29/08/2006
J'y crois au fait que les Etats pourront "mater" les velleités de toutes les religions... Il leur faut un peu de temps.
Écrit par : schleuder | 29/08/2006
Moi je n'y crois pas, la spiritualité existera toujours et sous une forme religieuse ou une autre. Et pourquoi tant de haine envers la religion ?
Écrit par : Pharamond | 29/08/2006
Je ne sais pas s'il faut parler de haine.
Pour moi, une "Eglise" quelle qu'elle soit, dès qu'elle est un tant soit peu organisée, devient prédatrice, parce que pour survivre elle a besoin de fidèles et elle finit par n'avoir plus que sapropre survie comme objectif.
Du parasitisme en quelque sorte...
Si je hais quelque chose, ce n'est pas la croyance en dieu, ni la spiritualité, c'est l'exploitation qui en sont faites...
Écrit par : schleuder | 29/08/2006
Je comprends. Cependant pourquoi se focaliser sur les aspects les plus noirs, certes ils existent, mais la religion fait aussi de belles choses, elle aide, elle inspire, en son nom des choses magnifiques ont été faites, cela ne compte-t-il pour rien ?
Écrit par : Pharamond | 29/08/2006
Disons que les aspects les plus noirs l'emportent me semble-t-il sur les autres aspects.
Écrit par : schleuder | 30/08/2006
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