17/04/2006
Le chêne et le roseau
Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne. »
Jean ANOUILH
21:48 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Argh ... le chêne aurait dû aller voir un chiroprateur ...
*
Plus sérieusement, j'aime cette idée à la Cyrano de "ne pas grimper bien haut peut-être, mais tout seul ...", ou cette idée de ne pas plier.
*
Mais en situation, comment me comporterais-je ? En héroïne ou en lâche ?
Écrit par : Cendrinox | 17/04/2006
Magnifique ... Je pense qu'en fait les 2 fables ont quelque chose de différent à nous apprendre :
- ne pas se rigidifier dans le mépris de l'autre, mais résister en lâchant prise chez La Fontaine
- ne pas vivre courbé, ne pas plier, mais être droit chez Anouilh
Écrit par : dominique | 17/04/2006
Cendrinox : Je me le demande aussi, mais la fable est belle quoi qu'il en soit.
dominique : Il est vrai que les deux fables quoique très différentes n'en sont pas moins deux belles leçons de vie.
Écrit par : Pharamond | 17/04/2006
Je connaissais cette fable, mais ne savais pas que Anouilh en avait fait un poème (ou bien est-ce l'inverse). J'aime bien cet idée du Chêne. Savoir rester droit quitte à en tomber plus durement, mais avec honneur. Il faut parfois se faire roseau et parfois chêne.
Écrit par : Simorgh | 18/04/2006
Simorgh : Tout le problème est là, je crois, faire l'un ou l'autre... au bon moment.
Écrit par : Pharamond | 18/04/2006
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