03/08/2006
Face au syndrome de l'aboulie
Pourquoi, dans un pays puissant et organisé comme le nôtre, ne peut-on pas se saisir de quelques centaines de casseurs, les juger et les punir ?
Depuis tant d'années, c'est l'impunité qui contribue à la réitération et au développement du vandalisme.
Le côté fascinant de cette situation se trouve dans ce qu'elle révèle chez nos gouvernants : cette aboulie, qui avait été si bien décrite par Démosthène chez les gouvernants grecs du IVe siècle av. J.-C.
L'aboulie est l'incapacité de vouloir. On désire, on parle, on voudrait, on peut aussi... mais on ne veut pas. Le vouloir implique de passer à l'acte.
L'aboulique se trouve incapable d'agir, alors il parle. Beaucoup. Il parle d'autant plus qu'il n'agit pas. Comme si les mots, pour lui, remplaçaient les choses. Il parle avec d'autant plus de force, de hargne, d'ardeur, qu 'il demeure dans son bureau sans prendre de vraies décisions, faible et indolent.
Nous sommes dans un système de type magique où l'incantation remplace la réalité. Il n'est pas de ministre qui ne dise régulièrement « il n'y aura pas de zones de non-droit ». Il n'est pas de ministre qui veuille vraiment les faire disparaître.
Le gouvernant sans courage s'imagine qu'il suffit de parler pour gouverner. Non pas parler d'autorité, ou donner un ordre, ce qui serait pour lui agir, mais parler pour analyser, pour juger, pour promettre, pour s’indigner, pour supplier.
La guérilla urbaine s'étend chaque nuit : pendant ce temps, un aréopage de ministres et de parlementaires se querellent pour savoir si l'on a le droit moral de traiter les fauteurs de troubles de "racaille" ; le président de la République appelle gentiment au calme; les promesses fusent.
En vérité, ces gouvernants ont oublié ce qu'est la politique : une activité, et non une méditation sur le monde. Ainsi se creuse un fossé entre la réalité et le discours.
Nous assistons à un déni de la réalité, porté par la classe politique tout entière, de droite comme de gauche (la gauche parce que ce déni fait partie de sa culture, la droite parce qu'elle a peur de la gauche).
Dans un cas pareil, les choses se passent toujours de la même façon : pendant que le discours officiel occulte vertueusement les faits désagréables et même dramatiques, la réalité, elle, ne se tasse pas pour autant dans les ténèbres d'où elle n'aurait jamais dû sortir : elle poursuit sa course, et comme personne ne lui fait face, elle s'exacerbe et devient de plus en plus dramatique.
Ainsi le fossé s’accroît-il est entre les mots et les choses. Dans ce fossé mijote une explosion future. Un jour ou l'autre survient un événement gravissime qui livre au grand jour l' épaisseur de la réalité et la profondeur des mensonges, et l'Histoire repart sur ses deux pieds.
Jusqu'où supporterons-nous ces affronts à la citoyenneté et à la civilisation, nous qui nous croyons civilisés ? Après tout, nous contemplons depuis des années des films sur les viols collectifs dans les banlieues, l'antisémitisme qui monte, le meurtre de tel père de famille innocent, et rien ne semble entamer notre mauvaise conscience ni notre cécité.
Quel drame faudra-t-il pour que nous prenions enfin la mesure de la réalité ? Je crains le temps proche où cette réalité interdite, refoulée, bannie, viendra s'imposer à nos consciences sonnées, comme la statue du Commandeur.
Chantal Delsol in Valeurs actuelles du 11 novembre 2005
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Le tour de France des monuments (choix absolument arbitraire) : France
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